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lors des derniers partages de la Pologne, les revendra, et se lancera dans une série de ventes et d’achats qui ne sont plus que des spéculations immobilières.

Les treize années que Blücher consacra à ces occupations, et durant lesquelles il tint sa place dans les associations oligarchiques de la Poméranie, n’ont certainement pas été employées selon ses goûts. Elles ont joué leur rôle dans la formation de son caractère. Sorti pour un temps du milieu militaire si exclusif d’alors, et mêlé à la vie sociale de la nation, il prit au contact ce goût de sociabilité, parfois même de sociabilité populaire, qui contraste avec la violence de son tempérament.

La mort de Frédéric II mit un terme à cet exode de Blücher dans la vie civile. La réaction contre le grand roi était de mode, et Blücher dut à cette mode un retour de faveur. Rentré au service, sans avoir rien perdu à son absence, il prit une part considérable aux campagnes des Prussiens contre les armées révolutionnaires. Il en a laissé de sa plume un récit très personnel, succinct et vivant. Il y apportait une ardeur d’offensive convaincue qui contraste avec le dilettantisme de la plupart des chefs autrichiens, et même prussiens, de cette époque. Après la paix de Bâle, Blücher fut chargé de surveiller la ligne de démarcation qui protégeait la neutralité de l’Allemagne du Nord. Ce fut à Munster, lors de l’occupation des territoires annexés à la Prusse en 1804, et qui résistaient à l’annexion, qu’il se lia avec Stein. Ce fut dans la retraite de 1806, après Iéna, qu’il se lia avec Scharnhorst. Depuis, associé étroitement à l’action des patriotes prussiens, il avait été de bonne heure choisi par eux pour conduire l’armée prussienne à la revanche, et imposé par Scharnhorst.

Ce serait se faire une idée fausse du caractère de Blücher que d’y voir seulement la violence irrépressible et aveugle d’offensive qui est demeurée le trait saillant de sa figure légendaire. Fermé aux théories de la science militaire, n’ayant d’ailleurs aucune prétention à les connaître, il n’a pas dû seulement ses succès aux chefs d’état-major éminens qui l’ont secondé et dans quelque mesure dirigé, à Scharnhorst et à Gneisenau. Il les a dus aux facultés géniales qui lui permettaient de discerner sûrement le point et le moment où devaient être portés les coups et l’effort. Son impétuosité n’excluait point cet instinct, ce don naturel qui supplée chez l’homme de guerre à plus d’une lacune. Lui-même en savait la valeur. On raconte que le soir de la