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devant le front des troupes et l’assistaient de leur présence dans les harangues familières qu’il adressait à ses soldats. Parfois Gneisenau les utilisait pour ses polémiques ; soit qu’il s’agît de célébrer la gloire de l’armée de Silésie ; soit qu’il s’agît de prendre parti dans ses querelles intérieures. C’est ainsi qu’à Gieszen, Steffens se fit ouvrir au passage les salles de l’Université et y tint, devant un nombreux public, un discours où il ne ménagea au corps prussien d’York aucune des critiques et des attaques que la rancune de Gneisenau lui tenait en réserve.

Gneisenau avait enfin trouvé à ses compagnons civils une occupation plus pratique, dans les services administratifs et politiques de l’état-major, et en particulier dans le service des renseignemens. Lui-même se tenait en rapports constans avec Hardenberg, avec Knesebeck, fort éloigné de ses tendances, mais qui lui donnait accès auprès de Frédéric-Guillaume ; surtout avec Stem, qui lui servait d’intermédiaire auprès de l’empereur Alexandre. Ainsi Gneisenau complétait très utilement ce qui manquait de science, de calcul, d’esprit d’organisation au chef de l’armée de Silésie.


Les précautions prises par les souverains pour que l’armée de Silésie ne devint point un foyer d’action indépendante, ou d’idées révolutionnaires, n’y avaient point favorisé la bonne organisation et l’unité du commandement. Si jamais armée parut vouée à l’insuccès par l’opposition et les incessans conflits des chefs qui la commandaient, ce fut bien l’armée de Silésie.

Une circonstance particulière vint aggraver les difficultés qui naissaient naturellement de la situation et des caractères. Blücher avait reçu verbalement de Barclay de Tolly, le 11 août, à Reichenbach, les instructions secrètes destinées à son armée. Elles prescrivaient à Blücher de prendre le contact de l’ennemi, de ne point le perdre de vue, et de le suivre de près s’il se portait sur l’armée de Bohême, mais de se dérober à toute action décisive. C’était interdire à l’armée de Silésie toute offensive, la réduire à une réserve fort différente du rôle qu’elle devait jouer d’après les premiers projets des coalisés, du rôle qu’elle a joué en réalité. Blücher n’était point d’humeur à se laisser ainsi brider ; il déclara qu’il ne prendrait pas le commandement s’il ne demeurait pas maître de ses initiatives, libre de prendre l’offensive quand il le jugerait nécessaire. Barclay ne voulut point modifier