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efforts d’imagination et la propagande de Gneisenau pour en faire une grande victoire. Muffling lui-même protestait contre ces exagérations, et appréciait d’une façon plus modeste « la rencontre sur le plateau, » dont les exaltés de l’état-major silésien amplifiaient sans mesure les proportions.

Les troupes russes de Sacken avaient eu dans le succès une part prépondérante. Il reçut, sur le champ de bataille même, le témoignage de Blücher, et le lendemain, le 27, il fut l’objet d’une manifestation flatteuse. Passant à cheval le long du corps prussien formé en colonne, il fut accueilli par le hurrah des troupes. Le rapport officiel rédigé par l’état-major silésien était, à l’égard des Russes, d’une reconnaissance moins expansive. Sacken et ses officiers pensèrent qu’il ne rendait pas suffisamment justice à leurs efforts. Et afin d’effacer cette fâcheuse impression, Blücher baptisa, le 30 août, sa victoire, pour faire honneur au corps russe de Sacken, du nom de la Katzbach. A la première heure les Prussiens lui avaient donné le nom de la Wüthende Neisse dont leurs troupes avaient occupé les rives. « Il nous sied, » écrivait Gneisenau dont la modestie n’était pas le fort, « d’être modestes après avoir été si longtemps malheureux. »

Mais si la journée du 26 n’avait pas été des plus meurtrières, elle eut, par les événemens qui suivirent, pour les troupes de Macdonald, les conséquences les plus funestes. La crise que traversa, après la rencontre de la Katzbach, après le 26 août, l’armée française placée sous les ordres de Macdonald, rappelle trait pour trait celle qu’avait franchie trois jours plus tôt, le 23, après le combat de Goldberg, l’armée de Silésie vaincue et battant en retraite. Mais, après Goldberg, l’énergie du dernier effort manqua aux Français ; leurs ennemis évitèrent le dernier abandon, réussirent à se ressaisir Après la Katzbach, au contraire, l’armée de Blücher victorieuse poussa sa pointe jusqu’à l’épuisement de ses forces, et le ressort manqua aux malheureuses divisions françaises qui se ruinèrent, sans retour possible, dans l’eau des torrens et la boue des chemins. Et à quelques jours d’intervalle, dans deux situations exactement semblables mais renversées, on saisit, par la différence des résultats, l’action des forces morales, — la réaction des nations européennes résolues à s’affranchir, — l’épuisement de l’effort gigantesque qui avait porté la France victorieuse aux contins de l’Europe.