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LE MAROC D’AUTREFOIS

LES CORSAIRES DE SALÉ

Lorsque, dans les cercles politiques, on entend parler avec chaleur et avec une touchante sollicitude de la nécessité de respecter l’intégrité d’un État, on peut tenir pour certain que chacun escompte déjà les chances de son démembrement ou, pour rajeunir un terme qui a un peu vieilli depuis le partage de la Pologne, « de sa vivisection. » C’est le cas de l’empire du Maroc et le sujet, à n’envisager que lui seul, serait assez facile à opérer, car les parties qui le composent sont, en quelque sorte, des membres épars, disjecta membra ; le Maghreb-el-Aksa a pu même être appelé ici[1] avec justesse une « fiction créée par nos imaginations européennes. »

Empire, il y a près de quatre siècles que ce mot n’a plus de sens appliqué au Maroc. L’évolution importante qui, à cette époque lointaine, s’est accomplie dans ses destinées et qui marque un tournant de son histoire a été la substitution des dynasties chérifiennes aux dynasties nationales, substitution fatale, qui a amené la concentration dans les mêmes mains de l’autorité spirituelle et de l’autorité temporelle. Alors que les nations chrétiennes renaissaient par les lettres, par les arts, par l’activité des relations commerciales et aussi par une séparation de plus en plus accusée du pouvoir civil et du pouvoir religieux, le Maroc, après plusieurs règnes glorieux, reculait dans l’obscurantisme et dans le fanatisme. Pour s’emparer du pouvoir et pour s’y maintenir, les chérifs firent passer sur le

  1. Le Maroc et les puissances européennes, par M. René Pinon. Voyez la Revue du 15 février 1902.