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Maghreb-el-Aksa un souffle de guerre sainte et, s’ils contribuèrent dans une certaine mesure[1] à arrêter l’invasion portugaise, ce fut pour comprimer la population berbère sous le despotisme le plus aveugle et la ruiner par la plus insatiable cupidité.

Le prestige religieux a pu seul faire accepter, malgré leur odieuse manière de gouverner, les tyrans de droit divin qu’ont été les chérifs marocains. L’esprit islamique, par l’effet d’une propagande très habilement conduite, finit par s’infiltrer dans les tribus berbères du Maghreb-el-Aksa et elles en arrivèrent, malgré l’éclat jeté par leurs dynasties nationales, à moins respecter un pouvoir qui était dépourvu de la consécration religieuse ; mieux valut à leurs yeux être mal gouvernées par un chef revêtu de l’autorité spirituelle, comme un chérif, que par des souverains, si glorieux fussent-ils, qui étaient obligés de chercher au dehors l’influence religieuse. Les missionnaires chérifiens enseignaient que l’esprit de corps (c’est ainsi qu’ils appelaient l’esprit autonomiste) était un reste de paganisme. « Dieu, disaient-ils, vous a délivrés de cette fierté qui vous dominait dans les temps antérieurs à l’islam ; il vous a ôté l’orgueil de la naissance ! » L’amoindrissement du sentiment national chez les Berbères fut le résultat de ces prédications qui étaient loin d’être désintéressées ; il permet d’expliquer la soumission du Maghreb-el-Aksa, si relative qu’elle soit, aux dynasties chérifiennes qui occupent si mal le pouvoir depuis le XIVe siècle.

Une de ces traditions qui circulent au Maroc, sans nom ni date, mais qui n’en sont pas pour cela moins caractéristiques, fera voir d’ailleurs que les sujets des chérifs sont fixés sur les vices de leur gouvernement, en même temps qu’ils reconnaissent, sans nous l’envier, la supériorité de nos institutions politiques. Un prince ayant envoyé son fils voyager en Europe et lui ayant demandé, au retour, quelle impression il rapportait de son séjour chez les chrétiens, reçut cette réponse : « Leur gouvernement est comme notre religion ; leur religion est comme notre gouvernement. » C’est-à-dire, en rétablissant les qualificatifs sous-entendus : « Leur gouvernement est aussi parfait que notre religion ; leur religion est aussi détestable que notre gouvernement. » La conclusion qu’il lui semblait inutile d’exprimer, tant

  1. Cette restriction est nécessaire, car la principale cause qui vint détourner le Portugal de son plan d’occupation du Maroc fut la conquête et l’exploitation du Brésil.