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elle était évidente à ses yeux, était celle-ci : « Notre part est encore la meilleure. »

Et cependant le Maroc des chérifs, si divisé et si troublé que certaines chroniques parlent « des rebelles ordinaires du Roy de Fez et Maroc, » comme l’on ferait de ses sujets ; cet empire en façade arriva à en imposer pendant le XVIIe et le XVIIIe siècle à ce point que les puissances chrétiennes recherchèrent son alliance et, — fait inouï, — s’abaissèrent jusqu’à lui payer tribut. Une marine de course plus audacieuse que puissante, connue sous le nom de « Corsaires de Salé, » était alors la terreur des vaisseaux marchands dans « la mer du Ponant, » comme on appelait l’Atlantique par opposition à la Méditerranée, « la mer du Levant, » théâtre des exploits des autres corsaires barbaresques. Il fallait bien assurer aux flottes marchandes par des traités de paix et par des tributs une sécurité contre les « Salétins, » puisque la jalouse rivalité des nations chrétiennes empêchait de les détruire et que, le plus souvent, les marines de guerre dédaignaient de convoyer les vaisseaux qui allaient trafiquer. Il y avait, en outre, pour le commerce européen un intérêt de premier ordre à conserver le marché du Maroc, car, malgré les difficultés de toutes sortes dont il était entouré, le trafic d’importation et d’exportation y était la source de bénéfices considérables.

C’est l’histoire des pirates de Salé, de leur repaire, de leur origine, de leurs moyens d’action et de la politique européenne à leur égard que nous voudrions retracer. Si cette étude purement historique ne prête pas aux digressions sur les questions actuelles, elle offrira du moins l’intérêt de reconstituer la physionomie du Maroc d’autrefois sous un de ses aspects les plus curieux ; rien d’ailleurs dans le présent ne saurait évoquer ce passé, car dans ce pays où les institutions et les mœurs changent si peu, les corsaires de Salé ont disparu sans laisser la moindre trace.


I

On peut reconnaître dans l’histoire maritime du Maroc trois périodes bien caractérisées. La première correspond à la domination des dynasties berbères sur la péninsule hispanique, à la fondation du double empire de l’Afrique et de l’Espagne : les