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cela d’autres fois, dirent que les Mores produisaient de pareils effets au moyen de charmes et qu’ils le faisaient pour que les galères se perdissent ; mais qu’il fallait délier les rameurs pour le cas où l’on donnerait sur quelque rocher et faire tous ensemble le signe, de la croix en adressant à Dieu des prières pour qu’il les délivrât de ce sortilège qui ne durerait pas, mais disparaîtrait tout de suite. De fait, aussitôt que la prière fut dite, le brouillard disparut tout d’un coup et fut tourné à néant ; le ciel redevint clair[1]. » Quand le fameux Dragouth, tenu étroitement bloqué par Doria, arrive à s’échapper, après avoir fait transporter ses galères par terre, et reparaît sur la mer, cela passe pour « une œuvre diabolique et infernale à laquelle les Romains, forceurs de la nature, n’eussent pu approcher[2]. »

La France était, au XVIIIe siècle, une des nations les plus éprouvées par la piraterie de Salé : les corsaires du Maroc étaient journellement sur nos côtes, prenant un très grand nombre de vaisseaux marchands et « gâtant notre trafic. » Lorsque parvenait dans nos ports la nouvelle de quelque capture importante opérée par les Salétins, le prix du fret montait aussitôt, le taux des assurances maritimes s’élevait à des chiffres prohibitifs ; on ne trouvait plus de matelots pour embarquer. Un marin au patriotisme éclairé et qui était des mieux informés sur le Maroc, le chevalier de Razilly, signalait au cardinal de Richelieu, superintendant de la marine et du commerce de France, la gravité de cette situation dans un mémoire qu’il lui adressait le 26 novembre 1626 et que cet homme de mer, rude et modeste, appelait « un grossier discours de matelot. » « Il est constant, écrivait-il, que tous les corsaires ne vivent que de ce qu’ils piratent sur les Français, et les appellent les sardines et les poissons volans de la mer. C’est pourquoi les habilans de Salé demandaient un million de livres et cent pièces de canon pour ne prendre plus de marchands français, d’autant qu’ils disaient que c’étaient leurs revenus ordinaires et ne pouvaient vivre sans cela. » Razilly ajoutait que les corsaires de Salé, qui n’étaient encore qu’à leurs débuts, avaient pris en huit années « plus de 6 000 chrétiens et 15 millions de livres dont la France en a souffert les deux parts de la perte »

  1. Le Victorial, Chronique de Don Pedro Nino, comte de Buelna, par Gutierre Diaz de Ganiez (1379-1449).
  2. Brantôme, Vie des grands capitaines étrangers.