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qui n’est pas une religion, mais une police ou une gendarmerie, n’est qu’une limitation provisoire des droits de la « raison individuelle. » Et le scepticisme, enfin, dans l’impuissance où il se sent d’assurer ce minimum de croyances, essaie de se faire illusion en émancipant cette même raison des derniers scrupules qui l’empêchaient encore de se croire uniquement souveraine. Tous et chacun, nous voilà désormais devenus « la mesure de toutes choses ; » nous faisons seuls toute la vérité de ce que nous croyons, comme la beauté de ce que nous aimons ; personne de nous n’a le droit d’ériger sa vérité particulière en règle de la vérité non plus qu’en maxime générale de conduite. Le subjectivisme triomphe ; et la société tout entière se sent à ce coup menacée de la même dissolution que les doctrines communes qui lui servaient de fondement, d’armature ou de support. Le philosophe avait raison : « Graduellement développée par le protestantisme, le déisme et le scepticisme, la maladie occidentale consiste dans une révolte continue de la raison individuelle contre l’ensemble des antécédens humains. » Et c’est encore lui qui ajoute : « qu’elle est résultée de la décadence nécessaire des croyances propres au moyen âge. » Nous ne différons d’avis avec lui que sur la « nécessité » de cette décadence.

En tout cas, il n’est pas le seul ni le premier qui se soit aperçu que tout ce qu’on faisait contre la religion tendait nécessairement à l’affaiblissement du lien social, et, sous ce rapport, rien n’est plus instructif, ni plus démonstratif du caractère « sociologique » de toute religion, que les efforts qu’on a tentés pour empêcher cet affaiblissement d’aboutir à une rupture. « Il y a, dit Rousseau (Contrat social, Livre IV, ch. 8), une profession de foi purement civile dont il appartient au souverain de fixer les articles, non pas précisément comme dogmes de religion, mais comme sentimens de sociabilité sans lesquels il est impossible d’être bon citoyen ni sujet fidèle. Il peut bannir de l’État quiconque ne les croit point, non comme impie, mais comme insociable. » Et, comment donc ? voilà qui est bien différent, mais on n’en est pas moins toujours banni ! Avec son admirable inconscience, — que l’on nommerait encore mieux son impudence dans le sophisme, — Rousseau, qui ne croit qu’en lui-même, incorpore la religion au pouvoir politique, et il en met les vérités, — qui ne sont pas des vérités, mais des opinions, — sous la protection de la loi pénale de l’Etat. Nous avons