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loin que Lamennais et nous restons en deçà d’Auguste Comte. Mais, de l’enseignement de Lamennais nous avons retenu qu’à tout le moins n’y a-t-il aucune opposition de principes entre le christianisme et la démocratie ; et, pareillement, nous retenons de la philosophie d’Auguste Comte, qu’à la manière de ces valeurs qu’on appelle « fonctions » l’une de l’autre, la religion et la sociologie se tiennent et varient ensemble d’une manière constante. Il ne paraîtra donc pas surprenant que, toute religion étant une sociologie, on ne connaisse guère de mouvemens sociaux qui n’aient affecté le caractère religieux ; — et c’est tout ce que nous avons voulu dire.

Quelques théoriciens feraient volontiers un pas de plus. « Quand la critique moderne parle de la Renaissance religieuse qui serait en train de s’accomplir de nos jours — écrivait, il y a quelques années, un jeune et ardent publiciste italien, M. Guillaume Ferrero, — on songe au Tolstoïsme, à l’armée du salut, à la foule des sectes néo-chrétiennes qui pullulent en Europe autant qu’en Amérique, et personne ne s’avise que la vraie forme, et la forme vraiment moderne de la religion, est le socialisme allemand. » [L’Europa Giovane, Milan, 1897, p. 90.] Pourquoi le « socialisme allemand ? » C’est le « socialisme » en général qu’il faut dire, — en France aussi bien qu’en Allemagne, en Italie comme en Angleterre, — le socialisme sans épithète, le socialisme des foules : je veux dire le socialisme considéré, non dans les programmes ou à travers l’éloquence des politiciens qui s’en font une carrière et une voie d’accès aux jouissances du pouvoir, mais dans les aspirations de ces masses populaires qu’agitent, que soulèvent, et qu’entraînent ses prédications. Moins Français, plus international et plus universel que notre révolution, ce que le socialisme aspire à réaliser, c’est proprement « le royaume des Cieux » sur la terre ; c’est le rêve de l’universelle fraternité dans l’universel amour. Assurément il ne faut pas confondre, comme l’a fait Renan, ou affecter de confondre, le socialisme avec le christianisme, et la prédication de saint Paul avec celle de Ferdinand Lassalle. Le badinage est d’un goût douteux, et nous mènerait un peu loin si nous commettions l’imprudence de le prendre au sérieux. Ce n’est point après la mort, ni dans une autre vie, dont celle-ci ne serait que la voie douloureuse, mais sur terre, et demain, que le socialisme promet à ses adeptes la réalisation du royaume des Cieux. Son