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idéal n’exige de ceux qui s’y convertiraient qu’un « minimum » d’abnégation ou de dévouement, et sa loi n’a rien de commun avec celle de la souffrance pieusement subie, acceptée ou aimée. Mais on ne se tromperait guère moins si l’on ne voyait d’autre part en lui que le déchaînement des appétits grossiers ou de l’avidité de jouir. Antithèse vivante, et ennemi né de l’individualisme, c’est par sa lutte contre lui qu’il faut nous représenter le socialisme. Et ce qu’il y a de certain, c’est que ses espérances n’étant pas conçues comme immédiatement réalisables, mais dans un avenir indéterminé, l’enthousiasme qu’elles inspirent à ceux qui les partagent est lui tout seul une manière de religion. C’est de cet enthousiasme que dérivent, — ainsi que d’une source très pure on voit sortir quelquefois sortir un torrent bourbeux, — ses colères mêlées de convoitise, de violence et de générosité ; ses haines auxquelles une certaine conception de la justice n’est pas tout à fait étrangère ; ses revendications, dont l’âpreté se tempère, s’adoucit, et s’achève parfois en rêveries presque idylliques ; son ardeur infatigable de propagande, de prosélytisme et de conversion.

Mais où la ressemblance apparaît plus frappante encore, c’est dans la mentalité qu’il suscite ou qu’il crée chez ses adeptes. « Dans le socialisme comme dans le christianisme, dit à ce propos M. G. Ferrero, le sentiment fondamental du disciple est la foi… Rien ne justifie le socialiste de manquer de foi, ni les considérations d’utilité pratique, ni même l’avantage de la propagande immédiate, ni la peur des persécutions. Si les mouvemens religieux ne se distinguent en rien tant des autres mouvemens sociaux qu’en ce qu’ils ne sont pas actionnés par l’impulsion des intérêts matériels, du moins immédiats et tangibles, et s’ils consistent essentiellement dans le culte passionné d’une idée, le plus manifeste des mouvemens religieux du temps présent est celui de ce socialisme qui, dans l’attente de la rédemption finale, ne travaille uniquement qu’à la propagation de son principe… » [L’Europa giovane, p. 93, 94.] On ne saurait, à notre avis, mieux dire ; et tout ce que nous ajouterons à cette page du brillant publiciste italien, c’est encore une fois que, dans les limites qu’il indique lui-même, nous ne connaissons pas de « mouvemens sociaux » qui n’affectent nécessairement, dès qu’ils durent et dès qu’ils s’étendent, quelques-uns des caractères qui sont ceux des « mouvemens religieux. »