Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/907

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

matières premières d’avoir affaire à l’ennemi né de leurs artèles, le marchand qui les opprime. Ils n’ont pas le moyen d’attendre la saison favorable à la vente ni de payer les frais de transport ; de là leur triste dépendance. Dans plusieurs provinces les zemstvos, les assemblées provinciales, dont il faut toujours louer l’intervention pleine de zèle, se sont efforcés de soutenir les artèles industrielles en facilitant le transport des marchandises jusque dans les villes et l’ouverture de magasins pour les recevoir, mais le paysan russe accepte difficilement une règle, des statuts, il se méfie des « messieurs » et ne se prête guère à des combinaisons imposées par une évolution économique qu’il ne comprend pas ; il aimera mieux avoir affaire à l’usurier qu’à une union de prêts. D’autre part, il y a contre ces mesures bienfaisantes la ligue des marchands et des entremetteurs. Les généreux efforts des zemstvos ont été maintes fois déjoués ; c’est d’eux néanmoins que peut venir le secours beaucoup plus que des sphères officielles du gouvernement, incapable d’apprécier de si loin les besoins ni les aspirations très complexes du milieu populaire tel qu’il existe dans chaque lointaine province.

L’opinion des économistes, c’est qu’il faudrait avant tout élever le niveau intellectuel du peuple pour le mettre à même de concevoir les services que lui rendra la coopérative assise sur des bases modernes en rapport avec l’expansion d’un mouvement industriel qui n’a plus aucun rapport avec celui des temps primitifs où se formèrent les premières artèles.

On parle déjà beaucoup en Petite-Russie des artèles Levitzky[1] ainsi nommées du nom de leur organisateur, un « monsieur, » à qui, par exception rare, peut-être unique, un groupe de paysans a demandé spontanément des statuts. Elles commencèrent dans les gouvernemens de Kherzon et de Perm, leur but étant d’améliorer la culture, d’obtenir du crédit et de réduire les arriérés d’impôt, plus une considération morale très touchante qui devrait être au fond de toutes les entreprises d’un bout du monde à l’autre : éteindre les haines, enseigner l’amour réciproque. Toutes les terres ne forment qu’un bloc, la culture se fait en commun, le fonds de roulement provient des apports des sociétaires égalisés par un moyen ingénieux. Le produit des récoltes est réparti entre tous en tenant compte pourtant de l’âge.

  1. Lire la brochure de M. Farcssof sur ce mouvement coopératif dans la Russie du Sud.