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travestissemens, comme l’esprit de la Révolution française, — c’est-à-dire, pour des croyans, des traditionalistes et des autoritaires, comme l’Esprit même du Mal déchaîné dans le monde moderne, — ce qui les séparait était peu de chose auprès de ce qui les portait à s’unir ; et, puisqu’il s’agit ici de deux théologiens, d’un prêtre et d’un pasteur, je me garderai d’ajouter que le succès les a justifiés, cette sorte de justification ne suffisant pas pour eux ; mais pourtant le succès vint démontrer bien vite qu’au moins au point de vue purement politique, ils ne s’étaient pas trompés.

Comment ne me rappellerais-je pas l’après-midi du 25 octobre 1890 où, dans son cabinet de Prins-Hendrikskade, à Amsterdam, le docteur Kuijper me tint un langage assurément nouveau pour un Français de la troisième République ? Élu député peu auparavant, il s’était aperçu, dès son entrée au Parlement, que son heure n’était pas encore venue et n’avait pas tardé à s’en retirer afin de continuer et de redoubler sa propagande par l’enseignement et par la presse. Il se contentait donc de soutenir du dehors le premier ministère anti-révolutionnaire, mêlé de calvinistes et de catholiques, formé par le baron Mackay, et dont M. De Savornin-Lohman, alors son confident intime, était le membre le plus influent. Comme je lui demandais, non sans quelque ingénuité, si le mouvement religieux qu’il avait provoqué et qu’il dirigeait était tout à fait exempt d’une arrière-pensée politique : « Nous sommes, répondit vivement le docteur Kuijper, comme les huguenots du XIVe siècle ; nous, calvinistes, nous avons toujours été en même temps des hommes de foi et des hommes politiques. Notre centre d’action étant dans le peuple et notre force dans les petits, dans les humbles, nous ne craignons pas de faire route, au besoin, avec les radicaux et même avec les socialistes ; car enfin tous ces ouvriers, tous ces paysans de Hollande, qui valent mieux que beaucoup de comtes et de barons, nous ne pouvons pas les laisser croupir éternellement dans la misère : cela ne se doit ni ne se peut, cela n’est ni juste ni possible. Cependant nous sommes et nous nous disons anti-révolutionnaires, ce qui signifie, à la lettre : « opposés à l’esprit de la Révolution. » Non pas que nous n’acceptions ce qu’il y a de bon dans l’esprit de la Révolution française, mais nous ne l’acceptons qu’en le faisant dériver d’une autre source que la source révolutionnaire. En notre qualité de calvinistes, nous sommes des hommes d’ordre et de progrès, et, à cet égard, vous ne saurez jamais tout ce que la France a perdu par la révocation, de l’Édit de Nantes. Il est de l’essence de notre foi, qui s’appuie sur le libre examen des textes, de développer