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l’indépendance personnelle, de donner plus de ressort à l’esprit et plus de trempe au caractère. Mais si nous sommes des hommes de progrès, nous sommes aussi des hommes d’ordre. Il y a, au-dessus de toutes les divisions, des choses sur lesquelles il ne faut pas permettre de porter la main ; et c’est pourquoi nous sommes, ici, alliés avec les catholiques, qui, d’ailleurs, ne sont pas les mêmes en Hollande qu’en d’autres pays ; qui, vivant au milieu de nous, se sont pénétrés de nos mœurs, et ne ressemblent nullement, par exemple, aux catholiques belges. » — Ainsi parla le docteur Kuijper, accoudé sur le grand pupitre, recouvert d’une riche étoffe, où la Sainte Bible était posée.

Quelques jours après, à La Haye, le Dr Schaepman me tenait, dans le parloir, dans la Sprechtkamer de la Seconde Chambre, quoique sur un autre ton, un langage à peu près pareil : « C’est en 1853, me dit-il, que la hiérarchie catholique a été rétablie dans le royaume des Pays-Bas. Les évêques sont alors rentrés et ils sont restés, malgré la véritable tempête d’intolérance qui s’est déchaînée contre eux. Les catholiques ont recommencé à sentir leurs forces, qu’une circonstance est venue du reste les aider à organiser et à discipliner. L’enseignement des Universités, des anciennes facultés de théologie protestantes, avait versé dans le rationalisme allemand, notamment à Groningue, à Leyde et à Utrecht. On y subissait très docilement l’influence des écrits du docteur Strauss et des exégètes ses disciples. Néanmoins, tant que ce rationalisme fut modéré, les catholiques ne récriminèrent point, et tous les protestans se résignèrent ou se turent. Mais il s’accentua bientôt, et si fort que, d’un côté et de l’autre, on convint qu’il ne pouvait plus être supporté. Il se forma donc comme une : union spontanée, et toute naturelle, des catholiques et des protestans non rationalistes. D’un côté et de l’autre, on se dit qu’après tout, on avait un fonds de croyances commun, et que, ce fonds commun, il le fallait préserver de toute atteinte. Les choses allèrent donc ainsi, par une sorte d’entente tacite, et comme d’elles-mêmes, jusqu’à la révision constitutionnelle de 1887. C’est à ce moment-là que l’on ouvrit, entre catholiques et protestans, des pourparlers. Réduits à leurs seules forces, les catholiques eussent été battus presque partout, hors dans les deux provinces catholiques, où ils peuvent, en toute circonstance, compter sur seize ou dix-sept sièges. Et quant aux protestans, à eux seuls, eux non plus ils n’eussent pas eu de bien grandes chances de succès. Comme les élections approchaient cependant, il devenait urgent d’adopter un plan de campagne et de décider sur qui, de