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peut-on comprendre que l’ennemi, dans une si grande étendue, ait pu si bien couvrir cette longue file, que ni l’armée de M. le duc de Berwick, ni celle de M. le Duc de Bourgogne n’aient rien entrepris, sur ce convoi ? C’est ce que personne de bon sens ne comprendra jamais[1]. »

Il semble que l’arrivée du prince Eugène devant Lille aurait dû piquer Vendôme au vif et le faire sortir de sa torpeur. Il n’en fût rien. Vainement le Roi faisait parvenir de nouveau à Lovendeghem les ordres plus précis ; vainement, le lendemain même du jour où la nouvelle de l’investissement de Lille était arrivée à Versailles, il écrivait au Duc de Bourgogne[2] : « Mon intention est qu’aussitôt ma lettre reçue vous disposiez toutes vos troupes, à l’exception de celles que vous laisserez à Bruges et à Gand, pour vous rapprocher de la place de la frontière que vous conviendrez avec le maréchal de Berwick, en prenant votre marche par le côté le plus assuré[3]. » Vainement, cinq jours plus tard, renouvelait-il encore l’ordre de mettre l’armée en marche dans un délai de quatre jours. Lever brusquement son camp et courir au secours de la place assiégée eût été pour Vendôme se donner un trop éclatant démenti. Aussi s’obstinait-il à ne faire aucun mouvement. Pour justifier son inaction prolongée, il donnait cette raison singulière, que l’armée ennemie, par les pertes qu’elle éprouverait nécessairement, s’affaiblirait au siège de Lille, et que la place pouvait tenir au moins trois semaines, ce qui laissait tout le temps. « Je croys, écrivait-il au Roi comme conclusion d’une longue dépêche, qu’il ne faut point nous ébranler d’icy que nous n’ayons entendu tirer le canon des ennemys pendant huit jours. » En même temps, il continuait d’afficher la plus grande sécurité : « L’armée de M. le Duc de Marlborough est moins forte de quatorze bataillons. Le prince Eugène n’a amené que trente-un bataillons et soixante-un escadrons, tous de mauvaises troupes, de sorte qu’on peut compter que les deux armées seront égales, et, s’il y a plus, ce sera de notre costé, mais Dieu mercy, la qualité des troupes est bien différente. » Persistant

  1. Mémoires du marquis de Feuquières. Édition de 1740, t. II, p. 378.
  2. Les dépêches du Roi étaient adressées au Duc de Bourgogne comme général en chef ; mais Vendôme en recevait en même temps copie.
  3. Dépôt de la Guerre, 2 082. Le Roi au Duc de Bourgogne, 14 août 1708. Cette dépêche a été publiée par Pelet, Mémoires militaires relatifs à la succession d’Espagne, t. VIII, p. 418.