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mais dont les fonctions sont profondément dissemblables : l’usine où l’on fabrique les navires et tous les accessoires nécessaires à leur armement et à leur marche ; l’armée qui fait usage de ces navires pour la navigation et le combat. Il ne peut y avoir d’ordre dans l’administration et de méthode dans le travail que si ces deux services s’entr’aident sans se mélanger. Ce résultat, facile à obtenir dans les marines en formation, est, au contraire, difficilement réalisé dans les marines anciennes, que paralysent toujours leurs traditions. On trouve moins d’obstacles quand il faut créer que lorsqu’il faut réformer. Les industries nouvelles ont, sur les industries depuis longtemps établies, un avantage incontestable. Elles profitent, pour leur outillage et leur administration intérieure, de l’expérience de leurs aînées. C’était le cas de la Prusse, que le poids du passé ne gênait pas.

On s’occupa, en outre, et ce fut l’œuvre la plus féconde de cette époque, de la formation d’un personnel national. La vapeur, malgré l’opposition des généraux, qui l’excluaient de leur programme, fit alors, son apparition dans le monde naval. Du changement profond qui résulta de son emploi à la mer, l’Allemagne profita plus qu’aucune autre nation de l’Europe. Ce fut la vapeur, en effet, qui, après avoir transformé son littoral, rendu à ses ports la prospérité et la vie, lui fournit le complément nécessaire de ses équipages : matelots et officiers. En substituant aux bâtimens à voiles ces usines flottantes qui s’appellent des cuirassés, des croiseurs et des gardes-côtes, elle lui permit de faire appel, pour armer les nouvelles unités de combat, aux masses ouvrières des villes. Plus encore que de marins caboteurs ou pêcheurs, une marine industrielle a besoin de mécaniciens, de chauffeurs, d’électriciens, de praticiens de toutes sortes. L’Allemagne n’en manqua jamais : le recrutement de sa flotte se confondit bientôt avec celui de son armée. Du même coup, bien que beaucoup de difficultés lui restassent à vaincre, la constitution de ses états-majors fut rendue moins difficile. L’instinct des choses de la mer et de la navigation, ce qu’on nomme : « le sens marin, » si nécessaire autrefois, devint moins indispensable : on put le suppléer par la méthode et les connaissances techniques. La science se substitua à l’art. Et la science, surtout en matière militaire, a toujours fait la force de l’Allemagne.

Les bateaux achetés à Hambourg commencèrent, dès lors, à