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soldats furent victimes. Depuis l’origine de la monarchie prussienne, cotait à l’armée qu’avaient été confiés la défense des côtes, la construction et l’armement des ouvrages du littoral. Elle était, à bon droit, fière de ce privilège, qui, outre qu’il ajoutait à son importance, lui donnait la haute main sur les autorités maritimes. M. De Moltke le lui retira. Soit qu’il eût connaissance des études faites antérieurement en France par la grande commission réunie autrefois sous la présidence de l’amiral Bouët-Willaumez et dont l’amiral Dumas-Vence avait été le secrétaire, soit que son expérience personnelle l’eût conduit à des conclusions analogues à celles de la commission française, il n’hésita pas devant cette grande réforme. Dans une note célèbre, qu’il soumit lui-même à l’Empereur, il exposa les raisons techniques et tactiques qui commandaient la remise entière de la défense des côtes à la marine : « La défense des côtes, disait-il, est organisée en prévision d’attaques exécutées par des corps de troupes transportés par mer et débarqués sous la protection des escadres de combat. Les officiers de marine sont seuls à même de discerner les points faibles de ces escadres et d’engager la lutte en conséquence ; ils peuvent seuls découvrir la portée des mouvemens des navires assaillans et en reconnaître le but réel. » Il ajoutait que les canons du littoral sont les mêmes que les canons de bord et que, par conséquent, les marins sont plus aptes au maniement de ces engins que les troupes de terre ; que les méthodes de tir sont celles qu’on emploie sur les vaisseaux ; et qu’enfin « l’indispensable combinaison des efforts » qu’on doit attendre du jeu des batteries et des forces maritimes : torpilles, torpilleurs et gardes-côtes, ne peut être obtenue que par un personnel « appartenant à la marine et dirigé par un officier de ce département. » Cette doctrine si claire, et qui semble dictée par le bon sens, n’était pas seulement celle de M. De Moltke et de l’amiral Bouët-Willaumez. Elle avait été celle de l’amiral Deloffre et de la commission parlementaire de 1849, présidée par M. Dufaure. Elle allait devenir celle du commandant Gougeard et de Gambetta ; en Italie, de l’ancien ministre de la Marine, l’amiral Bettolo. Il est peut-être regrettable que la France y ait aujourd’hui renoncé.

L’attitude de M. De Moltke est d’autant plus curieuse en cette circonstance qu’il semble bien que l’illustre feld-maréchal ne voulut pas aller plus loin, et qu’en sa qualité de militaire il