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Ce que beaucoup d’anciens spahis et d’anciens tirailleurs retiennent trop facilement de leur passage dans les rangs de notre armée, c’est le goût du cognac ou de l’absinthe, qui les dégrade vis-à-vis de leurs coreligionnaires. Ce que la grande majorité des indigènes retiendra le mieux de notre instruction, ce seront les leçons plus ou moins bien comprises qui leur paraîtront flatter le plus leurs passions. Voilà ce qu’auraient pu dire à la commission d’enquête de 1891 les Algériens indépendans, et ce qui, à en juger par certains rapports parlementaires, ne paraît pas avoir été admis au Sénat.

Est-ce à dire que nous ne devions rien faire dans cet ordre d’idées ? Aucun homme éclairé ne le soutiendra ; mais il faut changer nos méthodes : si nous estimons que l’école professionnelle suffit amplement aux besoins de l’époque actuelle, ce n’est point une raison pour ne pas préparer l’avenir, et, à ce point de vue, l’administration algérienne aurait grand profit à jeter un coup d’œil au-delà de ses frontières. Dans nos possessions du Soudan, nos officiers ont établi, presque aussitôt après la conquête, des écoles « de fils de chefs, » bien modestes, il est vrai, mais proportionnées à la fois aux faibles ressources dont ils disposaient et aux intelligences primitives auxquelles elles étaient destinées. Au lieu d’amalgamer les jeunes indigènes dans nos lycées et de leur imposer une instruction et une éducation si peu appropriées à leurs mœurs et à leurs besoins, pourquoi ne pas élargir d’une part l’enseignement de nos trois « medersas, » de manière à y former un personnel de lettrés sérieux, destiné à constituer le cadre d’une sorte de corps universitaire indigène, et d’autre part créer ou annexer à nos établissemens d’instruction des cours spéciaux destinés aux fils d’indigènes influens ? Un programme judicieux les intéresserait non seulement aux améliorations matérielles qu’ils pourraient procurera leurs tribus quand ils y seraient rentrés, mais aux principes d’équité, de tolérance, de justice qui doivent guider tout homme destiné à administrer ses semblables. Donner l’instruction à tous en Algérie est une pure chimère ; travailler à rapprocher le moment, bien lointain encore, où on pourra y songer, n’est point une œuvre irréalisable, si nous n’avons pas la prétention de tout faire par nous-mêmes, et si nous voulons convier à cette entreprise une élite indigène que nous aurons graduellement formée. Une telle entreprise, où le côté pédagogique est, des plus