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à la réalité. La propriété collective, c’est celle qu’on retrouve dans les pays slaves, dans certaines régions de l’Inde où le sol est soumis à des partages renouvelés à des intervalles réguliers ; c’est encore, dans une certaine mesure, le régime des terres azels. Le partage du sol s’y opère par familles, quelquefois même par groupes de familles ; mais, si la jouissance est ainsi subdivisée entre les individus, le droit de propriété n’en réside pas moins dans la collectivité, dans la commune ou la tribu.

Tout autre est la propriété indigène en Algérie : sur certains points, les tribus possédaient des terrains à titre collectif, appelés mechmel, d’une nature analogue à nos communaux. Ils ont subsisté, et, notamment sur les hauts plateaux, nous avons délimité et constitué des communaux de douars, dont on a tant parlé à propos des concessions de phosphates. Mais, en dehors de ces terrains de pâturages ayant une affectation bien déterminée, tout le sol des tribus était réparti entre les familles et chacune d’elles exploitait toujours les mêmes terrains. Dans toute la région moyenne du Tell, les géomètres ou les personnes initiées aux mœurs arabes savent bien distinguer certains bourrelets de terre (resm) qui servent à délimiter les exploitations et persistent d’année en année. On peut donc dire que, dans la plus grande partie de l’Algérie, la propriété individuelle existait à l’état d’indivision familiale. Les auteurs de la loi de 1873 ont-ils voulu constituer la propriété privée familiale ou la propriété individuelle ? Il est difficile de le savoir ; la loi emploie toujours les termes de « propriété individuelle, » et il faut bien reconnaître que le morcellement de la propriété indigène devait s’obtenir bien plus rapidement par ce procédé que par la constitution de la propriété familiale. Les instructions données par le gouvernement général pour l’application de la loi sembleraient prouver, au contraire, qu’on voulait délimiter seulement la propriété familiale ; cependant les commissaires enquêteurs ont divisé et subdivisé le sol à l’excès, sans que l’administration supérieure intervînt pour arrêter ces abus. Ici encore on doit reconnaître combien le système organisé en 1863 était supérieur à celui de 1873 ; les instructions ministérielles de cette époque prescrivaient de se borner à constater la propriété familiale sans chercher à déterminer la part de chaque ayant droit, sage réserve qu’il eût été prudent d’imiter. En effet, ce n’est point tant la loi de 1873 qui est défectueuse que son mode d’application, et rien ne