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publicité dans les douars ; l’affichage au bordj de l’administrateur ne signifiait rien, dans un pays dont les habitans sont pour la plupart illettrés, et les registres de réclamations déposés dans ses bureaux ne recevaient aucune inscription. Doit-on en conclure qu’aucune réclamation fondée n’ait pu être faite ? Rien ne serait plus téméraire ; outre que l’indigène ignore souvent l’existence de ce registre, il ne faut pas connaître certains, fonctionnaires de l’administration locale pour penser qu’ils s’empressent de satisfaire aux demandes de communication qu’ils peuvent recevoir ; il n’est donc nullement démontré, en présence d’un registre vierge de toute réclamation, que les indigènes n’aient point eu à en présenter, et il semble draconien de considérer comme régulière et définitive toute opération qui, dans ces conditions, ne donne lieu à aucune protestation.

L’administration algérienne, en réponse à ces critiques, pourrait alléguer que c’est à la loi de 1873 qu’elles s’appliquent en partie ; l’objection serait juste si les bureaux du gouvernement général avaient tenté de remédier aux vices de la loi ; mais ils se sont, au contraire, désintéressés de toutes les questions d’application, et ont même, dans certains cas, aggravé les inconvéniens de la législation. Quel était, en effet, le but de la loi de 1873 ? La reconnaissance et la création de la propriété individuelle, en vue de favoriser les ventes à la colonisation. Partout où existait la propriété individuelle, il était inutile de la constituer : il suffisait de déterminer les douars soumis à ce régime sans y entreprendre les longues et coûteuses opérations prescrites par la loi ; du moment, en effet, que la propriété privée et non familiale s’y rencontrait, aucun obstacle juridique ne s’opposait à ce que la colonisation pût acheter directement leurs terres aux indigènes, sauf à courir les risques que court, même en France, tout acheteur insuffisamment renseigné sur la personne ou la capacité juridique de son vendeur. Cette simple réflexion, faite il y a vingt ans, eût épargné bien des travaux et des dépenses inutiles.

En ne se bornant pas à constater l’existence de sa propriété familiale et en voulant, dans chaque famille, délimiter la part de chaque individu, on s’est heurté à une autre difficulté : l’indigène n’a point de nom de famille ; il s’appelle Mohamed, fils de Saïd, ou Tahar, fils d’Ali. Pour connaître la fraction lui revenant dans l’indivision, il fallut d’abord dresser les arbres généalogiques de tous les ayans droit et faire une sorte de règlement successoral ;