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puis, afin d’éviter les confusions pour le présent et l’avenir, donner un nom à chaque famille. L’opération était des plus complexes. La polygamie et le divorce, d’une part, la légitimité des enfans que le maître a eus de ses esclaves, d’autre part, donnent à la famille musulmane une étendue que nous nous figurons difficilement ; c’est donc une œuvre très laborieuse et pleine d’incertitudes, dans un pays où l’homme cache systématiquement à l’étranger la composition de sa famille, que de prétendre éclairer ce chaos. Elle n’a pas arrêté le législateur, qui a prescrit, en 1880, l’établissement de l’état civil des indigènes ; et, de fait, l’abandon de la constitution de la propriété familiale indivise au profit de la propriété individuelle en faisait une obligation étroite. L’opération a donné lieu à des abus d’une autre espèce, et il est juste de reconnaître qu’il n’en pouvait être autrement au milieu d’un fatras d’instructions contradictoires ou obscures. Tout d’abord cette nouvelle institution a fait créer de nouvelles fonctions de commissaires de l’état-civil ; dont les titulaires furent trop souvent recrutés dans cette catégorie, nombreuse en Algérie, d’individus qui ont tenté toutes les carrières sans en pouvoir poursuivre aucune, tour à tour géomètres, interprètes, a gens d’affaires, commissaires-enquêteurs, administrateurs ou officiers écartés de l’armée ou de l’administration, médecins sans cliens ou politiciens sans emploi. C’était s’exposer à de grandes dépenses pour de médiocres résultats, lorsqu’il eût été facile de confier ce travail, dans toutes les communes mixtes, aux administrateurs et à leurs adjoints, qui, résidant sur place et disposant d’excellens moyens d’information, auraient pu atteindre le but plus sûrement et à moins de frais. Là aussi, comme en matière de propriété, la fantaisie n’a pas perdu ses droits ; certains commissaires ont trouvé plaisant d’affubler les indigènes de noms ridicules ou injurieux, qui, aux termes de la loi, leur sont infligés sans retour. Ces agissemens non réprimés ont vivement froissé les indigènes, et à juste titre ; mais ils peuvent maintenant s’en consoler en pensant que, de même que l’opération de la propriété individuelle, celle de l’état civil disparaîtra fatalement. Quand l’opération était terminée dans un douar, on remettait solennellement aux indigènes une carte d’identité portant leurs noms et prénoms ; il serait curieux de savoir ce que deviennent ces cartes. On a déjà eu la preuve que les titulaires, après les avoir cousues dans leur burnous, les perdaient ; que d’autres étaient