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COMMENT SE CRÉE UN AMÉRICAIN


The Making of an American, an autobiography by Jacob Riis. New-York, 1902.


Pour tous ceux qui ont voyagé en Amérique, l’un des principaux sujets d’étonnement est le spectacle de la transformation des émigrans de tous pays, Allemands, Irlandais, Italiens, Russes, en citoyens de la grande République. La fournaise géante qui reçoit de jour en jour, expédiés par le vieux monde, les élémens les plus disparates a vite fait de les fondre, de les amalgamer, de les couler en un métal neuf, frappé à l’effigie indélébile de l’Américain. L’être sorti de cette fusion à laquelle rien ne résiste conserve sans doute quelques traits caractéristiques de son origine ; mais il est, bon gré mal gré, armé de pied en cap pour la vie nouvelle qui s’impose à lui dans un monde nouveau, à moins qu’il ne périsse au cours de l’opération, ce qui arrive plus souvent qu’on ne le pense. Nulle part le même phénomène ne s’est jamais produit avec cette rapidité, cette intensité : il faut, je crois, en chercher la raison dans le changement, beaucoup plus radical qu’ailleurs, du milieu, des conditions d’existence et de succès, dans la gymnastique désespérée à laquelle est contraint ce que chacun possède en soi d’énergie et de volonté. Or, par lassitude, apparemment, d’un certain dilettantisme, on est arrivé depuis peu à célébrer partout cette double qualité : force et vouloir. L’énergie est à la mode ; on n’aime, on n’estime plus qu’elle. Kipling, qui en est le professeur attitré, triomphe, traduit dans toutes les langues. Gorki, le révolté russe, rivalise sous ce