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un terrain de récréation ; il a lancé sa première supplique pour que, dans les prisons d’enfans, les simples vagabonds ne fussent pas confondus avec les criminels, car les enfans criminels, produit d’un milieu corrompu, sont plus nombreux qu’ailleurs dans les grandes villes d’Amérique. On peut être récidiviste, incendiaire, avant douze ans, capable à quatorze de tous les pires forfaits ; et les enfans arrêtés étaient parqués ensemble par rang de taille, un gamin convaincu seulement d’avoir fait l’école buissonnière côtoyant les voleurs de profession. Un article de Jacob Riis, qui expliquait la propagande du crime par l’exemple de la rue et l’effet de la prison, fit beaucoup de bruit et mit fin à une classification absurde autant qu’abominable.

Il fit le tableau saisissant de l’immonde garni chauffé au pétrole dont l’odeur s’ajoute à des odeurs de cuisine innomables, jusqu’à suppression complète de l’oxygène ; il montra les murs et les planchers grouillans de vermine ; l’escalier gluant sur les marches duquel, tout étant plein de la cave au grenier, couchent de malheureux êtres qu’on pourrait prendre pour des tas de guenilles. Le courant d’air, qui est censé assainir, ne sert qu’à redoubler la puissance des terribles incendies, déchaînés plus souvent qu’ailleurs dans ces ruches humaines. Trois mille individus habitent pêle-mêle un seul pâté de maisons, les bâtimens séparés entre eux par des cours étroites, autant de réceptacles d’ordures. Il meurt à peu près un bébé sur cinq. Ceux qui survivent s’échappent dans la rue dès qu’ils peuvent marcher, et la rue est défavorable à la formation des caractères, laquelle exige un bon terrain, la rue ne recèle que des égouts. Tous les amusemens naturels à son âge que le gamin du slum trouve sur la voie publique sont nécessairement qualifiés de délits. S’il ne se moquait pas de la loi qui lui défend de s’y livrer, il ne serait pas un garçon. La contravention le tente d’ailleurs par un certain côté héroïque, du seul héroïsme qui soit à sa portée. Il brave l’agent de police, c’est amusant ; il brave la loi, qu’il estime peu, car déjà il sait que, malgré celle qui défend l’exploitation de l’enfance, il suffit de payer vingt-cinq sous pour obtenir un faux certificat d’âge ; il sait que la défense affichée dans chaque estaminet, dans chaque bureau de tabac, de lui vendre des liqueurs ou des cigarettes est annulée pour de l’argent ; mensonge que tout cela ! L’enfant ment, lui aussi, pour se défendre, et il s’associe à une bande pour être le plus fort. Ses parens n’ont sur lui aucune