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et je comprends que la loi à laquelle j’avais cru n’existait point, ou plutôt que j’avais pris pour une loi ce que j’avais trouvé en moi-même pendant un certain temps de ma vie…

Ayant considéré autour de moi, je vis que les hommes vivaient en affirmant connaître ce qui n’est pas détruit par la mort. Quel sens n’est pas détruit par la mort ? L’union avec le Dieu infini, le paradis. Je rentrai alors en moi-même. Comme aux autres hommes, la vie et la possibilité de la vie m’étaient offertes par la foi. Ainsi, je fus inévitablement amené à reconnaître que, indépendamment du savoir intelligent qui autrefois me paraissait unique, toute l’humanité possédait encore une autre connaissance, irraisonnée celle-là, la foi, qui donne la possibilité de vivre. Il faut vivre en Dieu, renoncer aux jouissances, travailler, se résigner, souffrir et être charitable. »

Telle est celle confession poignante qui fait pendant à la célèbre confession de Jouffroy. Nous l’avons reconstituée en rapprochant simplement les phrases mêmes de l’écrivain russe citées par M. Metchnikoff. Qu’y voyons-nous ? La révolte d’un grand esprit contre le non-sens de la maladie, de la vieillesse et de la mort.

Ce sont bien là les sentimens dominans qui jettent les âmes dans la foi, et dans la vie religieuse. La légende de Çakya Moûni en est un autre exemple, mémorable et d’une impression infiniment saisissante ; le jeune prince avait été élevé dans le palais de son père, au milieu des richesses et dans une atmosphère de jeunesse et de beauté, sans que jamais on permît qu’aucun spectacle de laideur ou de douleur frappât ses yeux et que son esprit envisageât aucune forme du mal physique ou moral. Et voici que, sorti avec des serviteurs de sa prison enchantée, il découvre un vieillard décrépit dont la vue lui révèle l’horreur de la vieillesse ; un malheureux qui grelotte la fièvre au bord du chemin lui dévoile l’existence de la maladie ; un cortège funéraire lui apprend la mort. — Tous ses plaisirs désormais sont empoisonnés. Il s’écrie : Malheur à la jeunesse minée par la vieillesse ! Malheur à la santé que détruisent les maladies ! Malheur à la vie de l’homme qui ne dure pas longtemps ! Et, pour toujours, il fuit son palais, ses richesses et ses plaisirs, pour devenir le Bouddha du renoncement.

Ce sont donc bien là les grandes misères de l’homme, et elles ont été ressenties non seulement par les grands esprits et par les