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animaux et la durée de leur croissance. Un animal dont le développement dure deux ans, vivrait 14 ans. Cette loi nous promettrait 140 ans ; mais le chiffre est exagéré et Flourens a réduit le rapport à celui de 1 à 6 ; ce qui nous donnerait encore 120 ans.

Pour atteindre au bout de la longévité promise, il ne faut compter ni sur l’élixir de vie, ni sur l’or potable des alchimistes, ni sur la pierre d’immortalité qui n’a pas empêché son inventeur, Paracelse, de mourir à 58 ans, ni sur la transfusion, ni sur le lit céleste de Graham, ni sur la gerokomie du roi David, sur aucun orviétan et sur aucun dictame. Contra vim mortis, non est medicamen in hortis, disait l’école de Salerne. Le mot de Feuchtersleben est le plus vrai : « L’art de prolonger la vie consiste à ne pas la raccourcir » — et c’est une hygiène, mais une hygiène savante comme celle dont M. Melchnikoff nous trace le programme futur qui réalisera le vœu de la nature.

Et maintenant, trouvera-t-on que le savant zoologiste a résolu l’énigme posée par le sphinx ? A-t-il fait répondre la science aux questions angoissantes : d’où venons-nous ? Où allons-nous ? Quel est le but de la vie ? — Le but de la vie, c’est, pour lui comme pour Herbert Spencer, « la tendance vers une existence aussi pleine et aussi longue que possible, » vers une vie conforme à la nature délivrée des désharmonies qui subsistent encore ; c’est l’accomplissement du cycle harmonique de notre évolution normale. Cette nature humaine idéale, sans désharmonies, redressée, sera l’œuvre du temps et de la science : elle pourra servir de base solide à la morale individuelle, familiale et sociale. La jeunesse saine, apte à l’action ; l’âge adulte prolongé, source de force ; la vieillesse normale, propre au conseil, auraient leurs places naturelles dans une société harmonieuse. A la fin de cette vie pleine, le vieillard, rassasié de jours, éprouvera le besoin de l’éternel sommeil et s’y abandonnera avec joie. — Cette solution est-elle vraiment aussi optimiste que le pense M. Metchnikoff ? L’instinct de la mort survenant à la fin du cycle normal et bien rempli, facilitera sans doute au vieillard le départ pour le grand voyage. Le déchirement n’existera plus pour lui : n’existera-t-il point pour ceux qu’il laisse ? Le jeune homme, l’homme mûr, en pleine possession de l’instinct de la vie, envisageront-ils, avec moins d’horreur qu’aujourd’hui, l’inexorable loi ?


A. DASTRE.