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l’équivalent de ce que l’Italie lui refusait en neutralité, mais il fut touché de son offre, et ses dispositions à son égard changèrent. Jusque-là, il lui avait fait du mal, il ne lui souhaita plus que du bien ; depuis des mois, de derrière sa neutralité officielle, il poussait de toutes ses forces à la guerre, il ne pensa plus qu’à conserver la paix. Ne se croyant pas en droit d’intervenir par un veto formel, il reprit sa panacée habituelle, le Congrès, non un Congrès de stratagème, en vue de gagner le terme du traité italien, car s’il eût eu cette arrière-pensée, il en eût informé l’Autriche à l’oreille afin qu’elle se prêtât au jeu. Il voulut un Congrès sincère et il en espéra le succès. Tant que l’Autriche n’avait pas supporté qu’on lui parlât de la cession de la Vénétie, il avait été convaincu que la guerre seule pourrait en opérer l’affranchissement, et n’avait eu confiance dans aucune des tentatives d’arrangement pacifique auxquelles il s’était complaisamment prêté. Il considéra que tout était changé dès que François-Joseph concédait en principe l’abandon de la Vénétie, à certaines conditions. Il lui paraissait beaucoup moins difficile de faire renoncer l’Autriche à la condition de la Silésie reconquise, qu’il ne l’avait été de lui faire admettre l’éventualité de la perte de Venise, d’autant plus que, dans l’affermissement de sa situation en Allemagne et dans son extension en Orient, en Bosnie et en Herzégovine, elle eût trouvé un équivalent de la Silésie. Il supposait que l’Autriche jugerait moins contraire à sa dignité de se rendre à un vœu unanime de l’Europe que de reculer devant une menace d’agression de ses deux voisins. Il n’y aurait eu d’obstacle sérieux à une solution favorable que sa propre cupidité, et il n’en avait aucune. Nigra l’affirmait à son gouvernement en pleine connaissance de cause : « L’Empereur désire à l’heure présente sincèrement le Congrès, et il y travaille loyalement et consciencieusement. Il se contenterait d’une solution pacifique qui ne lui ferait gagner aucun territoire, mais qui aurait pour résultat la libération de la Vénétie, et augmenterait l’influence morale de la France dans le monde (28 mai). » Depuis le commencement l’Empereur n’avait pas eu d’autre pensée ; on la retrouve au fond de toutes ses combinaisons ; c’est ce qui constitue le point fixe de sa politique, dès qu’il reste lui-même et ne se laisse pas circonvenir par des influences extérieures.

Drouyn de Lhuys écrivit à La Tour d’Auvergne et à