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aux ennemis et de la crainte qu’il n’y marche pas. » On regrette que le mari ne pétillât pas comme la femme, et que les lettres quotidiennes qu’il recevait d’elle et qui, malheureusement, ont été perdues n’aient pas réussi à lui communiquer quelque chose de sa flamme.

Au milieu de cette cour en désarroi, le Roi seul conservait son calme, au moins apparent. Les observateurs attentifs avaient remarqué cependant que le jour où il avait reçu à Fontainebleau les députés de Paris qui venaient lui présenter le nouveau prévôt des marchands, il avait, en réponse à leur harangue, laissé apparaître quelque émotion. « Le Roi, dit Sourches répondit plus longuement qu’à son ordinaire ; il s’attendrit lui-même, et attendrit tous les assistans par les termes dont il se servit pour témoigner son amour pour son royaume et sa bonne ville de Paris[1]. » Mais il ne voulait pas que rien fût changé au cours ordinaire des choses, pas plus qu’au lendemain d’Hochstedt ou de Ramillies. Le matin, il tenait de longs conseils ; le soir, il travaillait fort tard, tantôt avec un ministre, tantôt avec un autre, le plus souvent avec Chamillart. Aussi les dépêches de lui, longues et précises, abondent-elles dans les gros volumes qui constituent aujourd’hui les archives du ministère de la Guerre. Mais l’après-midi était consacrée à la chasse, son délassement favori. Tous les jours, il s’y rendait. Si quelque courrier arrivait avant son départ, pour satisfaire l’impatience des courtisans et pour empêcher les fausses nouvelles de courir, il rendait compte, tout en se bottant, du contenu des dépêches aux courtisans assemblés autour de lui, et leur recommandait de répéter exactement ses paroles. Mais si le courrier arrivait après son départ pour la chasse, on attendait son retour pour l’ouvrir. « Il nous faisait mourir, » dit Saint-Simon. Cette persistance dans la régularité de ses habitudes était chez Louis XIV un système. S’il y avait manqué, il aurait craint de fournir prétexte aux commentaires et d’augmenter le désordre des esprits. N’avait-on pas remarqué qu’il ne s’était pas purgé le premier de septembre, comme c’était son habitude de le faire tous les mois, « à cause de l’agitation où il se trouvoit pour les affaires de Flandres, » et quand on avait su qu’il s’était purgé le 10, n’en avait-on pas conclu : « que l’affaire s’allongeoit ? » Il avait pris ce

  1. Sourches, t. XI, p. 156.