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grave parti contre l’avis de Fagon, « qui vouloit qu’il attendît la décision de cette grande affaire pour se purger plus en repos[1]. »

Le Roi avait beau faire, il ne pouvait contenir l’agitation de la Cour, ni imposer silence aux malveillans. La cabale de Vendôme avait relevé la tête, toujours conduite par la Duchesse de Bourbon dont la haine contre la Duchesse de Bourgogne avait été encore attisée tout récemment par une rivalité de femme, à propos de d’Antin, d’Antin, l’habile courtisan, qui s’était mis d’abord du parti de sa demi-sœur, puis était retourné du côté de la princesse dont il avait subi le charme. Les esprits avaient été encore surexcités par une fiévreuse attente de trois jours, durant lesquels la Cour était demeurée sans nouvelles, et lorsque arriva enfin un courrier expédié de Mons-en-Puelle, on ne sut rien d’autre par lui, sinon que des dissentimens avaient éclaté de nouveau entre les généraux. On les exagérait même ; on parlait de débats publics et scandaleux, de vifs reproches adressés par Vendôme à d’O et à Gamaches, qui n’auraient fait que dire tout haut ce que le Duc de Bourgogne pensait tout bas, de prise à partie du duc de Guiche par le duc de Berry ; et tous ces propos tournaient à la gloire de Vendôme, qui seul voulait marcher aux ennemis. Mais quand on apprit que Chamillart partait pour l’armée, le récri fut général. Monsieur le Duc, d’accord avec sa femme pour dénigrer le Duc de Bourgogne (c’était le seul point où l’harmonie régnât dans le ménage), disait tout haut « qu’il n’étoit pas douteux que ce voyage n’eût fait plaisir à tout le monde, parce que, dès qu’on l’avoit su, chacun en avoit pensé mourir de rire[2]. » Les railleurs tournèrent aussitôt une chanson, rappelant le souvenir de certain voyage, effectué en Flandre quelques années auparavant par le même ministre, dont les conséquences n’avaient pas été heureuses :


Après Ramillies, ce grand prince
L’envoya dans cette province.
Qu’en advint-il ? On rappela
Vendôme de la Lombardie.
Eugène cent fleuves passa,
Et le Roi perdit l’Italie[3].
  1. Sourches, t. XI, p. 172.
  2. Saint-Simon. Édition Boislisle, t. XVI, p. 327.
  3. Nouveau siècle de Louis XIV, t. III, p. 283.