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A plusieurs reprises dans le courant de ce malheureux mois d’octobre, Fénelon revient à la charge, et dans des lettres de plus en plus vives. Le bruit public, contre le Duc de Bourgogne, croît au lieu de diminuer. Des discours contre lui sont répandus partout, et ont terni sa réputation. Le torrent entraîne tout ; le cœur de Fénelon en est déchiré, et il croit devoir résumer pour la seconde fois, sous huit articles nouveaux, ce qui se dit contre le Duc de Bourgogne. Peu s’en faut qu’il ne s’érige en juge des opérations militaires, et qu’il ne critique les ordres que le Duc de Bourgogne a donnés, ou ceux, qu’il a refusé d’exécuter. Il se fait l’écho d’imputations presque blessantes. « On dit que pendant que vous êtes dévot jusqu’à la sévérité la plus scrupuleuse dans des minuties, vous ne laissez pas que de boire quelquefois avec un excès qui se fait remarquer. On se plaint de ce que votre confesseur est trop souvent enfermé avec vous, qu’il se mêle de vous parler de la guerre ; on prétend que vous avez écrit à des gens indiscrets et indignes de votre confiance[1]. » Toute la lettre est sur ce ton, mais entremêlé en même temps d’admirables conseils qui se résument en celui-ci : « Quelque génie que Dieu vous ait donné, vous courriez risque de faire par irrésolution des fautes irréparables, si vous vous tourniez à une dévotion faible et scrupuleuse. Écoutez les personnes les plus expérimentées, et ensuite prenez votre parti ; il est moins dangereux d’en prendre un mauvais que de n’en prendre aucun, ou d’en prendre un trop tard. »

Des lettres écrites sur ce ton, de la part de quelqu’un qu’il aimait d’une amitié si tendre, devaient contrister le Duc de Bourgogne. Sa tendresse aurait pu concevoir quelque amertume de ce que Fénelon lui-même se fît si facilement l’écho des rumeurs les plus injurieuses. Son orgueil aurait pu se révolter. Il aurait pu faire sentir la distance, ou tout au moins taxer ces jugemens de témérité. Rien de tout cela. Sa réponse est touchante d’humilité et de bonne foi. Après avoir déclaré qu’il est « bien moins homme de bien et moins vertueux que l’on ne le croit, » ne voyant en lui que « haut et bas, chutes et rechutes, relâchemens, omissions et paresses dans ses devoirs les plus essentiels ; immortifications, délicatesse, orgueil, hauteur, mépris du genre humain ; attache aux créatures, à la terre, à la vie, sans

  1. Fénelon, Œuvres complètes, Edition de Saint-Sulpice, t. VII, p. 277.