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responsable de cette capitulation ; mais son incorrigible présomption n’en paraissait point ébranlée, et il ajoutait : « Si nous pouvons nous maintenir longtemps où nous sommes, je vous répons que les ennemis seront plus embarrassés que nous[1]. » Le Duc de Bourgogne s’exprimait avec moins de confiance : « Tout cecy est bien triste, écrivait-il au même Chamillart, mais le pis seroit surtout de perdre courage. C’est ce qui doit m’arriver le dernier. » Néanmoins, il ne dissimulait pas ses inquiétudes : « Je ne répons pas, ajoutait-il dans une autre dépêche, qu’il n’y ait pas ce soir des houssards à la porte de Péronne[2]. » En effet, la capitulation de Lille laissait à Marlborough et au prince Eugène la liberté de leurs mouvemens. Boufflers, exécutant les ordres du Roi, s’était bien enfermé dans la citadelle où il se préparait à continuer la résistance. Mais un faible cordon de troupes suffisait à l’y tenir bloqué ; l’armée assiégeante, jointe à celle de Marlborough, semblait menacer l’Artois et se proposer d’envahir la France. Aussi le Duc de Bourgogne, d’accord avec Berwick, proposait-il, dans une longue dépêche au Roi, de renoncer à la garde de l’Escaut, de séparer son armée en deux, d’en laisser une partie à la disposition de Vendôme pour défendre Gand et Bruges, et de se replier avec l’autre moitié vers la frontière pour couvrir l’Artois. Mais Vendôme s’opposait vivement à cette proposition, et persistait dans son projet de marcher aux ennemis, bien que l’entreprise devînt de plus en plus périlleuse. L’un et l’autre en référaient au Roi qui, pour décider entre eux, se trouvait dans le même embarras qu’aux premiers jours de septembre, alors que la question était de savoir s’il fallait tenter de délivrer Lille. Aussi avait-il recours au même expédient, et il envoyait de nouveau Chamillart au camp. Celui-ci y passait huit jours, du 1er au 9 novembre. Dans les conseils de guerre tenus en sa présence, les dissentimens entre Vendôme et Berwick éclataient plus vifs que jamais, le Duc de Bourgogne penchant du côté de Berwick. Chamillart arrivait cependant à les mettre d’accord sur un projet « mitoyen » qui impliquait la garde de l’Escaut, et il rapportait au Roi le procès-verbal des résolutions adoptées qui recevait son approbation. Le soir même du jour où il quittait Tournay pour retourner à Versailles, il recevait du Duc de Bourgogne une lettre qui était ainsi conçue :

  1. Dépôt de la Guerre, 2083. Vendôme à Chamillart, 25 et 26 oct. 1708.
  2. Ibid., 2 083. Le Duc de Bourgogne à Chamillart, 23 et 26 oct. 1708.