Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/908

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tout a été dit sur le personnel qui entoure les tribunaux algériens et dans lequel, à côté d’hommes d’une intelligence et d’une probité indiscutables, on voit grouiller nombre de déclassés et d’intermédiaires véreux ; l’indigène qui a recours à leurs services doit d’abord verser des honoraires souvent fort élevés, avant que son affaire soit en état ; c’est la plupart du temps bien plus qu’il ne donnait autrefois au cadi pour être jugé et cependant la procédure n’est pas encore commencée. Il faut payer pour l’assignation, payer pour les témoins, payer pour la levée du jugement et, même pour le gagnant, les déboursés sont encore d’une certaine importance. Toutes ces formalités peuvent se multiplier à l’infini, si des officiers ministériels peu scrupuleux veulent accumuler les actes de procédure ; la jurisprudence même de la Cour d’Alger augmente aussi dans certains cas les frais comme à plaisir. S’il y a à pratiquer dans un douar une opération qui nécessite la présence de témoins, on ne peut procéder qu’en présence de citoyens français : l’assistance du cheick ou d’un garde champêtre indigène ne suffit pas, bien qu’ils soient sujets français. On voit alors l’huissier emmener avec lui deux témoins, leur faire faire 40 ou 50 kilomètres et arriver à réclamer ainsi des frais de déplacemens s’élevant à une cinquantaine de francs pour un acte taxé à 10 ou 12 francs seulement. Cet abus est le fait de la jurisprudence. Mais combien d’autres sont imputables aux Parquets qui ne surveillent pas les officiers ministériels ou leurs propres auxiliaires de toute nature. C’est ainsi que s’établissent des erremens coupables, et que la magistrature algérienne prend la responsabilité de tous les abus qu’elle néglige de réprimer. Pour l’indigène naturellement processif, car il a la passion de la terre, la procédure constitue un impôt dont le poids est plus lourd que tous les autres.

En poussant à outrance à la destruction des juridictions indigènes, les juristes à l’esprit étroit qui ont organisé le régime judiciaire actuel ont imposé aux plaideurs, de l’avis de toutes les personnes compétentes, une augmentation de dépenses de plus de 100 pour 100 ; or, s’il est contestable que la justice des juges de paix soit dans certains cas préférable à celle des cadis, il est un point sur lequel aucun doute n’est possible, c’est la prompte expédition des affaires à laquelle tiennent par-dessus tout les indigènes. Là où le cadi ne demandait que quelques heures pour se prononcer, le juge français, embarrassé par les formalités