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épanouissement humain : l’élan, la hardiesse, l’imagination qui invente, et la tradition qui se souvient, la vigoureuse jeunesse des actes, avec le mûr développement de la pensée. Tel est bien le langage de ces deux tours élégantes, qu’on aperçoit de tous les points de Rome, avec l’aérienne balustrade qui les relie, comme aussi des masses architecturales, délicieusement allégées par des médaillons, des bas-reliefs, des niches, des fenêtres, qui se multiplient sans confusion, dans une ordonnance claire et délicate, comme enfin du noble portique, avec son arcade centrale et ses colonnes accouplées, digne seuil d’un sanctuaire d’art.

Tel est l’asile que, non pas même dans Rome, mais planant au-dessus de Home, la France ouvre à ceux de ses enfans qui, chaque année, semblent lui offrir la meilleure espérance de génie. Nous disons « qui semblent ; » et, en effet, on doit s’en tenir, pour un pronostic si précieux et si hasardeux tout à la fois, aux résultats d’un concours spécial, comportant tout ce que peut avoir de fortuit, et, par conséquent, d’incertain, une épreuve de ce genre. Mais quel autre moyen de s’y prendre, surtout en matière de talent, et quand ce talent n’en est encore qu’aux promesses de ses débuts ? Si les lauréats du grand prix de Rome ne deviennent pas tous des artistes de la première valeur, et s’il s’en trouve, parmi les candidats malheureux, qui ne mériteraient pas moins une pareille faveur et peut-être en profiteraient mieux que certains élus, la faute n’en est ni à l’institution, ni aux concurrens, ni aux juges. Sans insister sur le vice ordinaire des concours, qui est d’écarter les natures indépendantes et originales, tandis que la médiocrité s’en tire parfois heureusement, nous pouvons affirmer que, d’une manière générale, c’est bien l’élite des jeunes artistes français qui profite des avantages offerts par la Villa Médicis. On a vu des soldats sortis du rang devenir des généraux fameux : l’aventure est fréquente plus que partout ailleurs dans l’armée irrégulière et peu disciplinaire de l’art. Ce n’est pas cependant une raison de fermer les grandes écoles militaires ou d’en attaquer le principe ; et, dès le début de cette courte étude, c’est ce qu’il était bon de rappeler.

L’institution des prix de Rome a en effet de nombreux détracteurs dont les raisonnemens empruntent une faveur particulière et regrettable à l’état actuel des esprits. Quel est cet état actuel, aussi bien dans les arts que dans la politique, et, universellement,