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veut. » On ne doit pas s’exagérer le pouvoir qu’ont les influences humaines d’éteindre cette flamme impétueuse pas plus que celui qu’elles ont de la créer. Une vision individuelle, c’est, par essence, quelque chose d’extraordinaire dans un univers aussi vieux que le nôtre, avec le poids des hérédités séculaires et sous la pression des formules consacrées par l’admiration des âges. Le miracle est qu’une telle faculté puisse éclore. Ce n’est point à ceux qui l’observent sans la posséder, et bien souvent, sans vouloir d’abord la reconnaître, à prétendre en arrêter ou en faciliter l’épanouissement. Les lois du génie nous échappent à ce point qu’il n’y a pas sujet de confusion plus général ni qui manifeste mieux les étranges injustices et les étranges aveuglemens des hommes. C’est donc le fait d’une philosophie bien indigente que d’attaquer une institution dont notre patrie et notre art national ont tiré un sensible honneur avec des avantages évidens, au nom d’une liberté d’inspiration qui n’a jamais fait défaut à ses pupilles et de laquelle nul au monde ne saurait déterminer les conditions de genèse et d’essor.

La liberté d’inspiration !… Mais elle est le but même et le résultat le plus sûr de notre Académie de Rome. Un jeune artiste que, le plus souvent, les difficultés de la vie harcèlent, que l’atmosphère d’une capitale fiévreuse grise plus ou moins, qui se trouve sollicité par les tapageuses parades des écoles éphémères, hanté par le souci du modernisme aigu, des frissons nouveaux, par tous les trompe-l’œil dont s’amuse et se lasse la mode chaque dix ans, est soustrait à ces troublantes influences. Il se trouve soudain transporté dans un milieu de beauté, mis en présence non plus de reflets aveuglans et transitoires, mais de ce que fixa d’éternel et d’à jamais émouvant le rêve humain. Il est délivré, — pour une période qui semble à sa jeunesse si longue qu’il n’en appréhende pas la fin, — de la terrible nécessité de gagner de l’argent et, par conséquent, d’épier, pour s’y soumettre, le goût du jour, toujours faux précisément parce qu’il ne dure qu’un jour et ne correspond à aucune aspiration durable de l’âme. Cette tentation du bénéfice immédiat, piège le plus dangereux pour l’indépendance du génie, il ne peut même pas en être effleuré, puisque le règlement interdit aux pensionnaires tout travail rémunérateur. Au lieu de fréquenter des ateliers où le « truc » et la « blague » sévissent plus souvent que n’y règne l’effort désintéressé, hautain et sincère, il jouit d’une