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s’y trouvait de sérieux, caché sous un flot d’apostrophes incohérentes de digressions maladroites, d’allusions personnelles désormais vides de sens. Et je ne saurais assez dire combien cette précieuse analyse nous aide à comprendre l’influence profonde exercée par Lavater sur le mouvement religieux de son temps, ni quelle vivante et touchante image elle nous offre de l’une des âmes les plus affamées de Dieu qu’il y ait eu jamais.

Encore ne peut-on mesurer pleinement l’originalité de la doctrine religieuse de Lavater si l’on ne se rend compte du milieu théologique particulier où elle est produite. Autour du jeune pasteur zurichois on doit se représenter ses maîtres, ses condisciples, l’élite des philosophes et des théologiens de son temps, unanimes à lui affirmer que le christianisme ne saurait plus être désormais qu’un ensemble de préceptes moraux, sous le contrôle sévère delà religion naturelle. Mais Lavater, nourri des Évangiles et de l’Imitation, se révolte contre un tel abaissement de l’idéal chrétien. « La religion naturelle, s’écrie-t-il, la théologie naturelle ? Ce sont des choses qui n’ont jamais existé et qui n’existeront jamais ! La question, pour le chrétien, est de savoir ce que lui enseigne l’Écriture Sainte, et non ce que lui enseigne une soi-disant religion naturelle qui n’a rien à lui dire. » L’œuvre des théologiens rationalistes lui apparaît un « escamotage, » une entreprise déloyale pour « dépouiller de ses particularités les plus essentielles le christianisme des apôtres. » Et quant à ne considérer le christianisme que comme une morale, c’est oublier que « la morale est une diète mais que celui qui a faim et soif réclame un aliment et une boisson. » La morale ne régit que les dehors de notre vie : elle n’atteint pas au dedans. Non pas cependant que Lavater admette davantage le dogme luthérien de la rédemption par la foi sans les œuvres. « Pour que la mort du Christ nous fasse participer de sa béatitude, il faut d’abord que la vertu de Christ nous rende aussi vertueux qu’il l’a été lui-même… Et si Jésus a dit que celui qui croirait en lui aurait la vie éternelle, il a dit aussi que croire en lui signifiait avant tout agir comme lui. » Les œuvres et la foi forment un tout unique : personne ne peut se dire chrétien qui prend la liberté de les séparer.

Et ni les œuvres ni la foi, d’après Lavater, ne sauraient se fonder seulement sur la raison humaine. La raison n’est en nous qu’une fonction relative et bornée, comme nos autres fonctions : réduite à ses propres forces, elle ne saurait prétendre à nous révéler aucune vérité. Pour devenir efficace, pour nous offrir la connaissance et la direction que nous attendons d’elle, elle doit se compléter par la révélation.