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le travail que par sa situation. On dit que, quand il fût bâti, le roi d’Espagne défunt demanda s’il était de diamans, par les sommes immenses qu’il avait coûtées. »

Mais la nonchalance des colons laisse en partie inculte le sol fécond de l’île. « On prétend, observe le même narrateur, que le blé y viendrait comme à la Vera-Cruz ; mais ces gens-là sont si paresseux qu’ils passent la plupart du temps à jouer de la harpe ou de la guitare, dont tout le monde joue dans ce pays, le noble comme le roturier. On dirait qu’ils ont été élevés dans cet exercice. »

Le moindre travail répugne à ces hidalgos au point « qu’il ne leur en faut pas parler. Ils aiment mieux dormir et se croient si grands seigneurs, qu’ils ont même de la peine à mettre les mains à l’œuvre pour leur nourriture, qui cependant est fort succincte. »

De son côté, le gouvernement espagnol n’encourage en rien le développement du trafic entre cette colonie et la métropole. « Ce trafic n’est grand, lisons-nous dans cette relation, que quand les flottes viennent à la Havane ; car, lorsqu’elles sont longtemps sans y aller, les marchandises, qui consistent en tabacs, sucres et cuirs, ne trouvant point de cours, leurs possesseurs sont souvent sans argent et obligés de donner leurs effets à ceux qui en ont, et cela à beaucoup meilleur marché qu’ils ne les donnent aux flottes. »

Et comme conclusion, l’officier ajoute : « Pour un pays aussi renommé, il ne s’y trouve pas beaucoup de gens riches : le tout par leur paresse et leur mauvais ménage, donnant tout aux femmes d’autrui, laissant les leurs et leurs enfans mourir de faim <[1]. »

Si les marins français ne moururent point de faim, ils eurent pourtant à supporter des privations excessives. Bientôt les rations de pain durent être réduites et remplacées par des distributions de maïs. L’eau-de-vie qui, à défaut de vin « facilitait la digestion d’une nourriture grossière, » fut ensuite supprimée. Et précisément, en ce printemps de 1702, la fièvre jaune fit son apparition à Cuba, plus violente que de coutume, n’épargnant point les habitans de l’île, habituellement indemnes de ses atteintes. Les Européens, à plus forte raison, ne pouvaient y

  1. Mercure de France, novembre 1702.