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même avant de quitter la Vera-Cruz, Château-Renault nourrissait le secret dessein de conduire les galions en France, il craignait, en les y emmenant contre l’avis de Velasco, de donner à cette injuste supposition une apparence de réalité.

Et d’ailleurs, il se trouvait bien à tous égards en parfaite conformité de sentiment avec la cour de Versailles. Les lignes suivantes, que lui adressait le roi, le démontrent pleinement : « Je vous ai écrit, que mon intention et celle du roi d’Espagne, mon petit-fils, étaient que vous abordassiez au port de Passages ; mais, comme ce port n’est point défendu et que la flotte de Neuve-Espagne et mes vaisseaux pourraient y être insultés, je vous fais cette lettre pour vous dire que nous désirons que vous ameniez la flotte dans un port de France, si vous le pouvez faire sans vous commettre avec ceux qui commandent les vaisseaux de la flotte[1]. » Mais en même temps il reste attendu à Passages et tout s’y prépare avec ardeur pour le recevoir.

Comme la prochaine arrivée des galions avait été annoncée d’abord par le Nieuport, venu en droiture de la Havane à Brest, puis confirmée par l’Eole, vaisseau de l’escadre séparé du convoi pendant la traversée, plusieurs frégates d’avis furent successivement envoyées au devant de l’amiral pour lui porter ces instructions nouvelles et le renseigner d’une façon précise sur l’état des choses en Europe. Ces frégates, malheureusement, ne le rencontrèrent pas.

Château-Renault ne put donc savoir ni que La Harteloire était à Lisbonne avec huit vaisseaux de guerre prêt à l’appuyer, ni qu’une flotte anglo-hollandaise menaçait alors l’Andalousie, ni surtout apprendre en temps utile que l’ennemi, dont la présence à hauteur du cap Finisterre lui avait été récemment signalée, venait d’abandonner cette croisière. Une telle nouvelle lui eût permis aisément de sortir de la situation perplexe où le mettait l’opposition obstinée des Espagnols. En effet, bien décidé à ne pas leur céder jusqu’à s’aventurer dans la direction de Cadix et non moins résolu à ne pas aborder à Passages, puisqu’il devait renoncer à suivre pour s’y rendre la seule route absolument sûre, il lui devenait loisible, dès lors, de gagner sans encombre soit la Corogne, soit le Ferrol, ports qui, sur cette côte, offraient avec un accès facile un abri assez vaste pour

  1. 16 septembre 1702. — Archives de la Marine.