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gouvernement français se décidât à prendre possession du Touat et du Gourara et à lancer des colonnes sur Igli. Au commencement de 1901, une exploration armée devait être poussée sur le territoire des pillards Doui-Menias, lorsqu’elle fut brusquement disloquée. A quand donc se trouve remise la consolidation de notre puissance dans le Sud ? Avons-nous besoin d’obtenir quelque assentiment tacite pour occuper un pays sur lequel le sultan de Fez exerce plutôt des prétentions qu’il ne possède des droits ?

On ne saurait trop le répéter, ce qui caractérise notre action dans le Sud, c’est, avec une regrettable absence de politique suivie, un singulier mélange d’audace et de timidité qui n’en impose pas à des populations fanatiques et guerrières. Si, comme l’a dit un grand politique, « on ne va jamais plus loin que lorsqu’on ne sait pas où on va, » il semble qu’en ce moment nous allons très loin. A-t-on fixé les points dont l’occupation est indispensable à notre expansion coloniale, et, s’il en est ainsi, pourquoi ne les a-t-on pas franchement occupés ? A-t-on surtout donné aux indigènes une idée suffisante de notre force et de notre justice ?

Pour le moment toute notre action militaire du côté du Maroc doit se borner à occuper d’une manière solide et définitive Igli et le pays des Doui-Menias, qui sont la clef du Touat, et à annihiler l’importance stratégique de Figuig. Cet objectif est parfaitement suffisant tant qu’aucune puissance européenne n’aura pris pied dans le Moghreb. Quant à notre diplomatie, sa tâche est beaucoup plus délicate, en présence des convoitises que provoque l’état de décomposition du pays chez certains gouvernemens européens. Si nous ne voulons pas démembrer le Maroc, au moins devons-nous être prêts à empêcher qu’il ne le soit par d’autres et contre notre légitime influence. Il ne faut pas en effet oublier que ce pays exerce encore sur les indigènes de nos possessions algériennes une mystérieuse influence : c’est de l’Ouest, au dire des prophéties arabes répandues dans notre colonie, que doit venir le sauveur, et c’est de ce côté que se tournent sans cesse les yeux de nos sujets musulmans. Si la situation n’a rien d’inquiétant tant que le Maroc restera plongé dans l’état anarchique où il se débat actuellement, tout autre serait-elle le jour où un pouvoir fort, d’origine nationale ou étrangère, viendrait à s’y constituer. C’est là le danger que nous