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devons craindre, et il est indispensable que nous ayons dès maintenant pris nos mesures pour assurer d’une manière irrévocable notre domination dans les oasis du Sud.

A l’est de l’Algérie, la Tunisie nous sépare depuis vingt ans des possessions turques ; bien que soumise à un régime différent, elle complète admirablement notre domaine africain en lui donnant une excellente frontière du côté de la Tripolitaine. On sait quels flots d’encre a fait couler la question de savoir à qui devait appartenir cette province, qui n’est liée à la Turquie, ni par la configuration géographique, ni par les mœurs, ni par les sympathies de la population, mais seulement par la présence d’un important corps d’armée. L’autorité du Padischah n’est guère complète que dans les oasis qui avoisinent Tripoli, où habite une population naturellement douce ; partout ailleurs, les vrais maîtres du pays sont les Senoussis, les nomades et les Touaregs, que notre prise de possession du Touat aura vraisemblablement pour effet de rejeter de plus en plus vers l’intérieur de la Tripolitaine. Ils sont tout-puissans à Ghat et à Ghadamès, malgré la présence dans ces deux villes de faibles garnisons turques, et en ferment les portes à telles personnes qu’il leur convient ; ainsi, malgré le voisinage de nos possessions et les relations qui devraient en résulter, nous ne pouvons songer à pénétrer dans ces deux bourgades perdues au milieu des sables, tandis que l’Angleterre, qui n’y possède aucun intérêt commercial, y a entretenu et y entretient peut-être encore des agens plus ou moins officiels.

Dans l’état actuel, notre influence en Tripolitaine est à peu près nulle en dehors de la capitale, mais il ne faut pas s’exagérer l’importance de Tripoli. Sans doute, c’est le seul port de la province et tout le commerce du Sud y aboutit, parce que c’est le point où la Méditerranée se rapproche le plus du Tchad et du Soudan, mais surtout parce que le pays est soumis à une puissance musulmane et que l’esclavage peut encore y donner lieu à un commerce assez lucratif. Notre pénétration vers le Tchad et la réunion du Baghirmi, du Kanem et du Damergou à nos possessions du Niger auront vraisemblablement pour effet de dériver une partie de ce faible courant commercial, et il serait encore réduit si l’on construisait le transsaharien. L’importance de la Tripolitaine est donc plutôt stationnais, depuis que son hinterland n’est plus illimité.