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comme elle sera bientôt refroidie par les événemens, le temps et la distance ! Les Memoirs of the life of Henry Reeve sont accompagnés d’un index alphabétique : le nom de Krasinski y revient cinq ou six fois dans les vingt-cinq premières pages du premier volume, puis il disparaît tout à fait. Il ne reparaîtra que près de trente ans plus tard, en 1859, au moment de la mort de Krasinski. Reeve en avait été informé, et il avait écrit à Ladislas Zamoyski une lettre où il lui parlait des regrets que la perte de son ancien ami lui faisait éprouver.

La comtesse Krasinska, à laquelle ces condoléances avaient été transmises, crut devoir lui en témoigner ses remerciemens : « Mon mari ; lui écrivait-elle, n’a cessé de vous porter un sentiment inaltérable et sincère. Bien souvent, en me parlant des jours de sa jeunesse, il me parlait de cette amitié qui vous unissait. Il m’avait aussi parlé des manuscrits que vous auriez, et je vous avoue que vous allez au-devant de mes désirs et de ma prière en voulant bien me les communiquer. »

Cette lettre est datée du 29 mars 1859. Reeve ne se rendit pas alors au vœu qu’elle exprimait. En 1892 seulement, peu de temps avant sa mort, il reçut dans sa villa de l’île de Wight la visite d’un jeune homme qui n’était autre que le petit-fils de Sigismond Krasinski. Il lui remit toutes les lettres du poète polonais, un certain nombre de manuscrits que cet ami de sa jeunesse lui avait confiés, et sa propre correspondance, que Krasinski lui avait rendue sur sa demande lors de leur première séparation. Ce sont ces précieux documens que M. Kallenbach a réunis dans les deux volumes qu’il vient de publier avec une véritable piété. Ils constituent tout ensemble un chapitre de la vie du poète, un fragment de l’histoire de la société genevoise, et un document psychologique de premier ordre.


II

Le premier volume renferme cent cinq lettres échangées entre Reeve et Krasinski pendant les années 1830-1832. Ces lettres sont en général fort longues. Les deux correspondans sont jeunes ; ils ont du loisir, ils sont encore dans la lune de miel de l’amitié. Puis surviennent les épreuves de la vie : Krasinski a manqué de perdre la vue et il est obligé de se ménager ; souvent, il réside en Pologne ou à Pétersbourg, et la peur du cabinet