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de nature malsaine. En 1835, il est à Naples. La femme qu’il aime d’un amour coupable est malade. Il veut savoir si elle guérira et il va demander la bonne aventure à des religieuses renommées, des sepolte vive.


L’une d’entre elles, la signora Agata, prédit l’avenir. J’y fus. Je prononçai un nom de baptême aux grilles de la clôture. J’étais séparé par une cloison de la religieuse, à qui il n’est pas permis de voir le visage d’un humain ; à l’instant, la voix change de son, s’altère, elle s’écrie qu’elle se sent défaillir, que son cœur est oppressé, mais qu’elle invoquera Dieu pour elle. Après neuf jours, je reviens. Alors la religieuse m’annonce qu’Elle mourra de cette maladie ; et, depuis ce jour, j’y suis revenu dix fois, et toujours la lugubre prophétie a été réitérée. Puis, sur moi, sur mon père, elle m’a dit d’étranges choses, prouvant une inspiration mystique.


La personne dont la voyante de Naples prédisait la mort prochaine devait vivre encore plus d’un demi-siècle. Elle mourut à quatre-vingt-deux ans.

Ce n’est pas dans cet épisode que la figure de Krasinski nous apparaît sous le jour le plus favorable. J’aime mieux, dans la Correspondance, les digressions littéraires, malheureusement beaucoup trop rares. Il y fait preuve de plus de bon sens et d’un plus solide jugement. Ainsi il s’enthousiasme pour l’Histoire de France de Michelet.


C’est un ouvrage remarquable, le premier en français qui soit vraiment et hautement philosophique. Auprès de lui, Lerminier est un sot et un fat, un élégant en fait de philosophie.


Dans ses réponses qui ne nous sont pas parvenues, Reeve se plaisait probablement à réveiller les souvenirs du passé vécu sur les bords du Léman ; ces souvenirs vibraient encore dans l’âme de Krasinski. La pure figure d’Henriette Willan ! se représentait parfois à son imagination et chassait de moins nobles souvenirs.


Vous avez réveillé je ne sais quoi d’inexprimable en me parlant d’Henriette. Il m’a semblé entendre une cloche des morts dans mon propre cœur. Aucune des femmes que j’ai aimées dans ce monde n’a été heureuse, car je n’ai aimé aucune d’elles dans les voies du monde, selon les ordonnances et cérémonies instituées par la société. Et, maintenant que vous avez fait pousser à cette corde assoupie en mon cœur un long gémissement, toute ma première jeunesse revient à moi ; je revis les mêmes paysages, les mêmes traits, je sens le parfum des mêmes fleurs et le vague des mêmes songes ; cet étroit