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aux informations, le colonel Conte, du 17e d’infanterie coloniale, démentit l’exécution et me déconseilla la visite que je lui annonçais au cimetière de Cha-la-eurl. Il insista amicalement pour me donner une escorte empruntée au poste de Ping-tze-men. Pour reconnaître sa sollicitude, j’acceptai le papier qu’il voulut bien libeller à cet effet. Puis, je le déposai précieusement dans la pochette de mon carnet, et, sans déranger personne, bouclai mon revolver par-dessus ma veste, bien visible, et m’acheminai vers le cimetière profané.

Une petite pluie tombait, fine et froide, qui délayait en boue collante la poussière du chemin et n’égayait pas la campagne maussade et insipidement plate, quand elle n’a pas pour fond la falaise bleue du grand plateau de Mongolie. Des bouquets de saules, des groupes de maisons rapetisses et presque fondus dans le vague rideau fluide qui s’abaissait sur eux, émergeaient, pareils à des touffes de grandes graminées bordant des taupinières, d’une mer de légumes. Des replis invisibles la creusaient probablement en plus d’un endroit, car, dès mon entrée dans les ruines, j’entendis se répondre les bizarres cris d’appel que les Chinois poussent si volontiers pour s’encourager réciproquement. Pourtant, je n’aperçus pas la natte d’un seul de ces hurleurs.

Tout autour de moi, quelle désolation ! Sauf les solides murs de pierres maçonnées du cimetière historique, où l’on avait seulement ouvert une demi-douzaine de larges brèches, toute la propriété de Cha-la-eurl n’était qu’un champ de décombres, fragmentés menu comme par des coups de mélinite. Les lignes mêmes des fondations n’apparaissaient plus dans ce terrain qui semblait un grand chantier de casseurs de pierres. Çà et là, des trous à demi comblés rappelaient une tombe ; quelques fragmens d’os dispersés parmi les morceaux de briques témoignaient, que le cercueil avait été vidé et ses planches volées. Le bois de charpente ou de menuiserie coûte cher, à Pékin, et dans tout le Tché-li, et les Chinois emploient volontiers ce procédé économique pour s’en procurer, même quand il leur faut violer des sépultures indigènes. Le culte des Mânes est circonscrit à la famille de chacun et n’englobe pas celle du voisin.

Quant au grand cimetière historique, la dévastation en était diabolique et grandiose à force d’horreur.

Les Pères l’avaient tracé en yamen de mandarin. Deux épaisses et larges tables de fin schiste vert, profondément incisées d’idéogrammes et surmontées d’un tympan monolithe de même matière, figuraient un portique d’entrée fictif, dans le mur sud, dressé sur le grand