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les deux armées prussiennes[1], aucun obstacle ne s’oppose plus à leur réunion.

La manœuvre stratégique de Moltke a réussi. Est-ce une raison de la vanter comme une conception à admirer ? De bons juges l’ont pensé, et professé « que la marche en colonnes séparées concentriques a victorieusement subi l’épreuve de l’expérience[2]. » Cette conclusion me paraît difficile à admettre en des termes aussi absolus. Que le prince royal de Saxe et Clam-Gallas ralentissent, ne serait-ce que de deux ou trois jours, l’approche de Frédéric-Charles, en se portant aux débouchés des monts de la Lusace ; que Benedek, sans regarder à droite ni à gauche, aille résolument devant lui ; qu’il ne perde pas un jour en mouvemens inutiles ; que, le 16 au plus tard, il expédie quelques brigades aux défilés silésiens ; qu’informé de la marche de l’armée prussienne sur la Bohême, il voie le péril où il est, c’est-à-dire du côté du Prince royal, si proche, et non du côté de Frédéric-Charles, beaucoup plus éloigné ; qu’il détourne sa prévision de l’Iser et la reporte vers les Monts Géans (aucune de ces hypothèses n’est en dehors d’une réalité possible ou même probable), et la marche des colonnes concentriques aboutira à des revers, et ce qui n’a paru qu’audacieux eût été taxé, à juste titre, de téméraire.

Govone, plus tard, à Nikolsburg, « demanda au prince Frédéric-Charles si la jonction avec le Prince royal avait présenté beaucoup de difficultés et donné des inquiétudes. Le prince répondit : « Beaucoup de difficultés et d’inquiétudes. » Quelques jours après, Govone dit au Roi : « Votre Majesté n’a-t-elle pas été inquiète pour la jonction de ses deux armées ? — Si Benedek et Clam[3] étaient arrivés seulement six heures plus tôt, mon fils était pris dans les défilés et n’aurait pu déboucher à aucun prix, et Bonin battait déjà en retraite. » — Govone revient souvent sur cette constatation : « Je parle de la jonction ; tous me disent qu’ils ont eu des inquiétudes. »

Les Prussiens ont réussi, et leur plan, qui était défectueux, sera jugé splendide. Or, il y a deux espèces de plans de campagne : les bons et les mauvais ; les bons échouent parfois par des circonstances fortuites, quelquefois les mauvais réussissent par un

  1. Quarante kilomètres seulement séparent leurs ailes intérieures, et elles communiquent par les patrouilles de cavalerie.
  2. Général Bonnal, Sadowa.
  3. Mémoires, 3 août 1866.