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Il est impossible de tracer par avance le plan d’une campagne. Les prévisions ne sont sûres que jusqu’à la première rencontre. Il faut alors régler sa conduite d’après les circonstances, presque toujours inattendues, et ce ne sont pas les dispositions les mieux étudiées, mais les plus simples et les plus naturelles, qu’il y a lieu de prendre, en les poursuivant avec suite[1]. Le grand homme de guerre est l’improvisateur des décisions audacieuses, qui, en quelques instans, sans s’arrêter aux mais, aux si, aux car, lance sans hésitation une armée vers son but par les moyens entrevus tout à coup. Jusque-là Moltke s’était montré un éducateur intelligent de l’état-major, un fécond dresseur de plans ; il se révèle maintenant grand homme de guerre.

Les renseignemens de Voigts-Rhetz entendus, il se lève aussitôt et, étendant la main droite : « C’est là que nous les battrons. » Il se rend auprès du Roi avec le messager, Roon et Alvensleben. Sans hésitation, tout d’une voix, il est convenu que Frédéric-Charles exécutera le mouvement préparé, et qu’on appellera à lui, non seulement la Garde, mais l’armée entière du Prince royal, de telle façon que l’ennemi, abordé de front par Frédéric-Charles (1re), soit tourné à droite par le Prince royal (2e) et à gauche par Herwarth (armée de l’Elbe).

A minuit, les ordres sont expédiés partout. Le lieutenant-colonel de Finkenstein, à cheval, accompagné d’une seule ordonnance, sous un ciel à averses, avec une lanterne et une boussole, va vers Königinhof, à travers des routes qu’il ne connaît pas Un second officier est envoyé par un autre chemin. Blumenthal ne perd pas une minute. Ses ordres sont envoyés incontinent à tous les corps, à 5 heures du matin.


VII

Le vallon de la Bistritz et les collines environnantes sont enveloppés de brumes qu’une pluie intermittente maintient dans les bas-fonds ; les rivières coulent à pleins bords ; les routes sont des ornières. C’est sous un ciel lugubre, à la clarté d’un jour presque crépusculaire, que 250 000 Autrichiens, armés de 270 bouches à feu, et 221 000 Prussiens, armés de 292 pièces, vont se ruer les uns sur les autres et s’exterminer.

  1. Conversation de Moltke reproduite par Friedjung.