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la plus acharnée. Quelque indulgent que l’on soit aux erreurs humaines, à celles-là surtout qui procèdent de bonnes intentions, il est difficile de cacher sa stupeur et de retenir sa colère devant un pareil phénomène d’aberration[1]. »

Cette émotion violente resta néanmoins d’abord limitée dans certaines sphères ; elle ne diminua pas la confiance du peuple dans l’Empereur, ni sa sécurité. Cependant, même dans les couches profondes, se produisit un ébranlement inquiet à la suite d’une note du Journal officiel annonçant « qu’en présence des événemens qui venaient de s’accomplir, il était indispensable que la France remaniât son organisation militaire, et que cette grave tâche venait d’être confiée aux personnages les plus illustres dans les armes. » — Tout le monde va servir maintenant, dit-on dans les campagnes. Qu’a donc fait notre Empereur ? Nous sommes donc menacés d’une invasion ?


II

L’agitation des esprits n’était pas moindre en Europe. Quand une tempête vient de tomber, les vagues restent encore quelque temps tumultueuses. Les États du Sud frémissaient de leur défaite : on tirait des coups de fusil sur les wagons qui transportaient des soldats prussiens. Et, une fois de plus, un appel fut fait à l’intervention de l’Empereur. « La France, disait Dalwigk à Lefebvre de Béhaine, devrait entrer sans délai dans le Palatinat et dans la Hesse ; elle n’y rencontrerait ni haines ni préjugés nationaux. Une démonstration hardie de la France produirait sur ces populations du Midi, qui ne sont encore qu’étourdies par les victoires de la Prusse, un immense effet. — Mais vous exprimez une opinion purement personnelle, interrompit Béhaine ; M. De Pfordten ne m’a pas autorisé à supposer qu’il la partageât. » Dalwigk affirma que son collègue de Bavière la partageait entièrement, mais que, réduits au silence, ils ne pouvaient ouvertement nous appeler. « Ils seraient, ajoutait Lefebvre de Béhaine, heureux de nous voir venir tout de suite ; l’entrée immédiate des troupes françaises dans le Palatinat rendrait aussitôt au Midi de l’Allemagne le courage de résister aux

  1. Ce sont les paroles de M. Jules Delafosse dans son éloquente étude sur Napoléon III. Leur date est récente, mais elles reflètent avec véracité l’opinion d’une partie du monde bonapartiste en 1866.