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trop bruyamment affirmé qu’ils ne nous céderaient pas un seul pouce de terre allemande pour qu’il fût raisonnable d’en espérer une concession quelconque, si, aux yeux de leurs peuples et devant leur propre conscience, ils n’étaient placés, par une menace visible, sous le coup d’une invincible nécessité. — Bismarck, en effet, a confessé plus tard à l’un de nos plus renommés ambassadeurs, le baron de Courcel, que 15000 hommes eussent suffi à l’arrêter[1].

L’Empereur se rangea un instant à l’avis de Drouyn de Lhuys, mais il l’abandonna aussitôt dans la crainte que, malgré tout, la démonstration militaire n’aboutît à une guerre dont il ne voulait à aucun prix. Il fut entendu qu’on attendrait de la gratitude de la Prusse la satisfaction qu’on jugeait indispensable à la sécurité de l’Empire.


IV

La conduite ainsi adoptée à l’intérieur et à l’extérieur était exactement le contraire de celle qu’une intelligente prévision conseillait. Rendre le pouvoir personnel intangible au moment où il venait de se mettre si gravement en faute était au-dessus des forces d’un sénatus-consulte. Les pressentimens qui avaient converti Morny à la transformation libérale de l’Empire, c’est-à-dire l’inquiétude d’une politique extérieure sans contrôle, n’étaient que trop justifiés ; la nécessité était impérieuse de leur donner satisfaction et de rassurer sur l’avenir, en accroissant les pouvoirs d’examen et même de direction des Chambres.

Vis-à-vis de l’Allemagne, il fallait réduire à ses justes proportions le fait accompli et l’accepter. Il eût été puéril de nier que le nouvel arrangement constituât un accroissement notable de la puissance prussienne, mais il était excessif d’y pronostiquer le suicide de la France. Une France compacte, unie devant l’étranger, ne visant plus à une domination à la Louis XIV et à

  1. Le baron de Courcel à Emile Ollivier, 29 juillet 1902 : « Drouyn de Lhuys, au 3 juillet 1866, ne croyait pas encore la partie irrémédiablement perdue pour la France, si elle se décidait à agir vite et avec toute l’énergie nécessaire Vingt ans après, Bismarck m’a confirmé la justesse de cette vue, lorsqu’il me disait qu’il aurait suffi de jeter 15 000 soldats français sur la rive droite du Rhin pour rallier les troupes des princes allemands opposés à la Prusse et couper de sa base l’armée prussienne engagée au fond de la Bohême, en donnant à l’armée victorieuse de l’archiduc Albert le temps d’arriver à la rescousse. »