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compensation impliquait le quitus approbatif donné à la Prusse pour ce qu’elle avait appréhendé contre la volonté des populations ; elle nous rendait complices de la restauration du droit de conquête. Tout nous déconseillait cette politique du pourboire, du grignotement, de la note d’aubergiste. Ce fut cependant celle que nos hommes d’Etat adoptèrent. Ils se lancèrent sans audace dans une diplomatie audacieuse, et sans volonté de guerre dans une diplomatie de guerre. Cela fut la plus funeste erreur de la conduite internationale de l’Empire.


V

L’Empereur, très malade, s’était rendu à Vichy. C’est là qu’il fut mis en demeure de se prononcer. Sa promesse de ne pas s’opposer à l’annexion de 4 millions d’âmes avait été verbale. Avant de proposer les lois de l’annexion, Bismarck désirait en obtenir la confirmation officielle. L’ambassadeur de Prusse, se défiant de Drouyn de Lhuys et ne pouvant aborder l’Empereur, pria Rouher de l’appuyer. Rouher se prêta à son désir. Toutefois il fit observer à Goltz que cette question lui semblait solidaire de celle de la rectification de nos frontières et que probablement on lui manifesterait l’intention de les traiter simultanément. — Quant à lui, il communiquait son opinion à l’Empereur par une lettre à Conti, chef du secrétariat impérial : « 1° Le sentiment public se prononce de plus en plus dans le sens d’un agrandissement à notre profit ; il est chaque jour dirigé, entraîné, égaré par les habiletés des hommes de parti. La presse favorable au gouvernement ne peut pas modérer ce sentiment, parce qu’elle n’ose ne pas le partager dans une mesure quelconque ; or, c’est là une mauvaise position qu’il faut faire cesser le plus vite possible. Si demain nous pouvions dire officiellement : La Prusse consent à ce que nous reprenions les frontières de 1814 et à effacer ainsi les conséquences de Waterloo, l’opinion publique aurait un aliment et une direction ; on ne se débattrait plus que sur une question de quotité à laquelle les masses resteraient indifférentes. 2° Je ne crois pas que cette rectification obtenue vaille quittance pour l’avenir. Sans doute, il faudra que de nouveaux faits se produisent pour que de nouvelles prétentions s’élèvent ; mais ces faits se produiront certainement. L’Allemagne n’en est qu’à la première des oscillations nombreuses qu’elle subira avant de