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répondu Keudell, eh bien ! vous engagez-vous sur l’honneur à garder jusqu’à Paris le secret de ce que je vais vous apprendre ? Avant quinze jours, nous aurons la guerre sur le Rhin, si la France persiste dans ses revendications territoriales. Elle nous demande ce que nous ne voulons ni ne pouvons lui donner. La Prusse ne cédera pas un pouce du sol germanique ; nous ne le pourrions pas sans soulever contre nous l’Allemagne entière, et, s’il le faut, nous la soulèverons contre la France plutôt que contre nous. »

Bismarck ne garda pas avec Govone la même réserve tranquille qu’avec Benedetti : « L’Empereur, lui dit-il, a envoyé enfin sa note d’aubergiste. Quel compte ! Nous avons fait tout ce que nous avons pu pour lui plaire ; nous nous sommes arrêtés aux portes de Vienne comme des imbéciles. Nous prend-il maintenant pour des lâches ou pour des enfans ? Les demandes qu’il nous adresse, impossibles à satisfaire, feraient croire qu’il veut nous chercher une querelle et qu’il est d’accord avec l’Autriche pour cela. L’Italie, que ferait-elle, si la France nous attaque ? — Je ne puis vous répondre officiellement, mais mon opinion, et Votre Excellence peut la prendre pour l’échantillon de celle du grand parti italien, est que l’Italie ne peut pas faire la guerre à la France, à laquelle elle doit les premiers pas de sa grandeur actuelle, si la France elle-même ne nous y contraint pas. — Je comprends, répondit Bismarck. Dans ce cas, nous ne demanderions à l’Italie qu’une neutralité bienveillante et une attitude qui inquiétât un peu l’Autriche[1]. »

Le roi Guillaume était froissé, inquiet, résolu. « L’Empereur, dit-il aussi à Govone, nous a adressé des demandes inacceptables. Ce serait un grand sacrifice de sang, si nous sommes obligés de diviser nos forces entre la France et l’Autriche. Mon armée se battra bien ; elle est aguerrie par une campagne qui lui a donné confiance en elle-même. J’aurai toute l’Allemagne avec moi. Je ne dis pas que ce soient de bonnes troupes que celles que nous avons battues dans le centre de l’Allemagne, et se mesurer avec

  1. Govone à Visconti-Venosta, 12 août 1866. Bismarck, dans ses Mémoires, place cette conversation au printemps de 1866. Il y a là une transposition évidente de dates. Les rapports de Govone de cette époque, si consciencieux et si exacts, ne font nullement mention de cet incident et ils ne le placent qu’en août 1866. Les circonstances démontrent qu’il n’a pu se passer qu’à ce moment, car, dans les négociations qui précédèrent la guerre, Bismarck ne cessait de dire qu’il fallait avant tout marcher d’accord avec la France.