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VIII

Benedetti ne transmit pas la conversation de Bismarck par le télégraphe à Paris ; il courut lui-même instruire Drouyn de Lhuys des menaces de cet entretien. En arrivant (10 août), il entendit, répandue dans le public, la nouvelle de ses demandes, qu’il supposait ignorées. Vilbort, tant qu’il était resté en Prusse, avait gardé le secret promis à Keudell, mais, aussitôt à Paris, il l’avait étalé tout au long dans le Siècle, sous forme de télégramme, puis de correspondance. De là, cela sauta dans les journaux allemands. A l’apaisement des derniers temps succéda une clameur furieuse. Plutôt la guerre ! s’écria-t-on de toutes parts, et la lie de haine, un instant déposée au fond des cœurs, remonta à la surface.

Ce vacarme réveilla en sursaut l’Empereur de sa léthargie de malade ; il vit l’abîme où on le précipitait ; il se retrouva, coupa court au pitoyable incident par une lettre au ministre de l’Intérieur : « J’appelle votre attention sur les faits suivans. A la suite d’une conversation entre M. Benedetti et M. De Bismarck, M. Drouyn de Lhuys a eu l’idée d’envoyer à Berlin un projet de convention au sujet des compensations auxquelles nous pouvons avoir droit. Cette convention, dans mon opinion, aurait dû rester secrète, mais on en a fait du bruit à l’extérieur, et les journaux vont même jusqu’à dire que les provinces du Rhin nous ont été refusées. Il résulte de ma conversation avec Benedetti que nous aurions toute l’Allemagne contre nous pour un très petit bénéfice (que ne l’avait-il compris avant ! ). Il est important de ne pas laisser l’opinion publique s’égarer sur ce point. Faites contredire énergiquement ces rumeurs dans les journaux. J’écris dans ce sens à M. Drouyn de Lhuys. Le véritable intérêt de la France n’est pas d’obtenir un agrandissement de territoire insignifiant, mais d’aider l’Allemagne à se constituer de la manière la plus favorable à nos intérêts et à ceux de l’Europe (12 août). » Et Benedetti fut chargé de déclarer à Bismarck que notre projet de revendication devait être considéré comme n’ayant pas été présenté.

Cette lettre de l’Empereur ayant été publiée plus tard à Londres par le Globe, Drouyn de Lhuys en releva les défaillances de mémoire et réclama auprès de l’Empereur lui-même. « Je