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Et Benedetti lit. Il n’aperçoit pas l’éclat sardonique de triomphe de ce regard dur mesurant ce qui peut entrer de crédulité dans le cerveau d’un diplomate réputé fin ; il ne sent pas l’épanouissement infernal de l’homme de fer, quand tombe à ses pieds notre trésor d’honneur, de probité, de délicatesse ; il n’entend pas la traduction que l’astucieux se donne à lui-même de ce beau projet : « Ah ! les nationalités, le droit nouveau, l’indépendance des peuples, l’humanité, la civilisation, le progrès, pour eux, c’est crocheter les serrures d’autrui ; enfin, les voilà dignes de moi ! » Et Benedetti lit. La lecture terminée, souriant et satisfait, il laisse le manuscrit écrit de sa main à ce cher ami, à ce cher président, afin qu’il obtienne au plus tôt l’approbation de son Roi (20 août).

Ils se sont excusés en disant : « Cette conception était toute prussienne. Bismarck nous l’avait soufflée à Nikolsburg et à Berlin. » — Précisément parce que c’était une proposition prussienne, vous ne deviez pas en faire un projet français. Bismarck était dans son rôle en vous conseillant de vous déshonorer : pourquoi l’avez-vous écouté ? Que ne peut-on jeter sur certains faits historiques un voile noir pareil à celui que les Vénitiens étendaient sur l’effigie de leurs doges coupables !


XII

La proposition sur la Belgique trouvait Bismarck occupé à fixer la rançon des États du Sud, dont les ministres étaient arrivés en supplians à Berlin.

Certains États étaient protégés par leur parenté avec la cour de Prusse ou de Russie : les arrangemens avec eux furent prompts et clémens. Le Wurtemberg fut exceptionnellement bien traité, à la considération de la reine, sœur du Tsar : pas de cession de territoire, indemnité de guerre de 17 millions ; reconnaissance des préliminaires de Nikolsburg, garantie réciproque de la possession territoriale des deux États, traité secret d’alliance offensive et défensive, en vertu duquel, en cas de guerre, les troupes wurtembergeoises seraient placées sous les ordres du roi de Prusse. Le grand-duc de Bade, gendre du roi Guillaume, en fut quitte pour une amende de 12 millions. Dans la Hesse, on fit une cote mal taillée : la partie située au nord du Mein ne fut pas annexée, quoique Bismarck l’eût bien désiré ; elle