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d’une épée de prix. À cette heure-là pourtant, l’ordre d’arrestation avait déjà reçu la signature royale. Luxembourg, disons-le, n’était pas seul en cause ; d’autres, — d’un rang égal, bien que de moindre illustration, — étaient impliqués dans l’affaire, et leurs noms, le lendemain, couraient de bouche en bouche. Sur ces derniers toutefois ne se referma pas la porte redoutable de la vieille forteresse : les uns, comme on verra, se mirent à l’abri par la fuite ; les autres, plus nombreux, furent soumis à une simple enquête que ne suivit aucun effet. Seul, en toute cette classe d’accusés, le procès fait à Luxembourg eut un cours régulier, fut instruit dans les formes et poussé jusqu’au terme ; plus que tout autre donc, il peut donner matière à une étude approfondie. Peut-être une telle recherche ne paraîtra-t-elle pas superflue. Cette affaire, en effet, aussi étrange que mal connue, n’offre pas seulement l’intérêt d’une cause célèbre à évoquer et d’une énigme à éclaircir ; mais, surgie brusquement au point culminant du grand règne, au début de la paix glorieuse obtenue par tant de victoires, elle jette sur cette splendeur un sinistre reflet, illumine d’un jour singulier certains dessous d’un monde qui fixe les regards de l’Europe éblouie, comme si, par une crevasse subitement entr’ouverte, apparaissaient les assises vermoulues du vaste et somptueux édifice.

Ce n’est, sans doute, qu’une rapide échappée. Le rideau, un moment soulevé, retombe vite sur la scène, et le silence se fait. Louis XIV a compris le danger de trop de lumière, et sa main vigoureuse a tôt fait de couvrir d’un voile impénétrable la plaie révélée par mégarde. D’ailleurs, ses conseillers, — notre récit en fournira la preuve — dans leur désir de frapper fort, n’avaient point, cette fois, frappé juste. La haine de quelques-uns, l’excès de zèle des autres, en dirigeant à faux l’action de la justice, ne pouvaient aboutir qu’à un avortement ; et cet échec retentissant allait décourager le Roi d’entamer de nouvelles et plus justes poursuites. Malgré tout, l’aventure du duc de Luxembourg, dans ses péripéties diverses, reste assez instructive pour que je me tienne excusé d’y solliciter un moment l’attention du lecteur, dussé-je parfois, pour débrouiller les fils compliqués de l’intrigue, entrer dans le détail de certains faits intimes qui relèvent de la vie privée plutôt que du domaine habituel de l’histoire.