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au courant du procès qui traînait depuis tant d’années, il se mit dans la tête de le terminer à lui seul, espérant, par ce coup d’éclat, servir tout à la fois les intérêts du duc et sa propre fortune. Le difficile, pour en arriver à ses fins, était de recouvrer le texte du traité élaboré lors de la vente des bois, d’où découlaient les droits respectifs des parties. Du Pin, qui l’avait rédigé et signé, en était resté détenteur et se refusait à le rendre, prétendant l’avoir égaré. Bonnard voulut en avoir le cœur net ; il fut, un beau matin, au logis de ce personnage, pour s’expliquer sur ce point avec lui. Il ne l’y trouva pas, mais il rencontra sa maîtresse, une fille fort jeune et d’aspect misérable. Il tenta de la faire jaser, et n’y eut point de peine. Elle abonda en doléances sur son malheureux sort, semblant « fort mécontente du peu de soin que du Pin avait d’elle, et fort disposée à profiter de la première occasion qui se présenterait de se tirer de la misère. » Aussi fut-ce sans hésitation qu’elle promit à Bonnard de lui faire retrouver le précieux document, pour la somme de huit cents écus, payables après livraison. Le marché fut conclu, mais point exécuté : j’entends par-là qu’après quelques vaines tentatives, cette fille dit à Bonnard qu’elle ne pouvait, elle seule, réussir dans cette entreprise, mais qu’elle savait quelqu’un dont l’adresse en viendrait très aisément à bout. Ce dieu sauveur était notre ancienne connaissance, le magicien Lesage[1], dont le nom, pour la deuxième fois, allait être mêlé avec celui de Luxembourg.


L’année 1678, où nous a conduits ce récit, ne fut pour le crédule et malheureux Bonnard qu’une longue suite de tribulations. Lesage, au premier entretien, s’était vanté, auprès de l’intendant du « commerce ancien, » disait-il, qu’il avait avec Luxembourg, des services importans qu’il lui avait rendus[2]. Ses hâbleries et ses escamotages achevèrent de persuader cette dupe aisée à éblouir, et de le livrer sans défense aux mains du dangereux charlatan. « Bonnard, dit Luxembourg, donna en vrai sot dans toutes les impostures et observa toutes les profanations, déguisées en exercices de piété, que ce scélérat lui fit faire pour retrouver les papiers. » Les interrogatoires confirment ce dire

  1. On s’étonnera moins de cette coïncidence, lorsqu’on saura que la maîtresse de du Pin était la fille de cette femme Bosse, que nous avons déjà vue exploiter la crédulité de Feuquières de concert avec Lesage et Vigoureux.
  2. Interrogatoire de Landart du 28 janvier 1680. Archives de la Bastille.